L'art est une catégorie culturelle dont la
portée varie largement selon les temps et les lieux. Dans l'usage
courant elle englobe principalement les produits de ce qu'on a appelé
les beaux arts: peinture, musique, poésie, danse, sculpture etc. La
conception de l'art comme production d'objets qu'on s'accorde à trouver
beaux, ou du moins stimulants pour les sens, remonte tout au plus au
XVIIIe siècle. De nos jours il n'y pas une idée de l'art qui soit
universellement acceptée. Les produits et pratiques qui relèvent de
l'art sont circonscrits selon les intérêts poursuivis par les individus
et les institutions, en tenant compte d'une façon ou d'une autre des
désignations antérieures.
L'esthétique,
qui s'est développée au XVIIIe siècle comme une théorie de l'art, est
de nos jours perçue comme une construction accessoire. Le relativisme
contemporain met en doute la possibilité d'une théorie de l'art
universellement valable et tient que l'histoire de l'art est toujours à
refaire.
La notion d'art : évolution historique
La
conception de l'art comme une forme spécifique de la culture humaine
est une idée qui s'est développée dans la civilisation occidentale
depuis la Renaissance. Le mot « art » qu'on emploie en français, dans
la plupart des langues romanes et aussi en anglais, vient du latin ars
qui signifiait habileté, métier, connaissance. L'équivalent allemand
Kunst vient aussi de connaître et dans les langues slaves iskustvo
dénote aussi l'habileté technique. De nos jours, tous ces termes
recouvrent principalement ce que l'on avait appelé les beaux arts et en
fait tous admettent une qualification semblable quand il s'agit de
préciser leur sens en limitant certaines connotations historiques.
L'ancien terme grec technè a eu de même une signification d'habileté
mais il a évolué vers la signification contemporaine de technicité.
Quand
on parle d'art en dehors de la modernité européenne il faut se garder
des projections anachroniques. Aujourd'hui l'art sous entend une
intention artistique dont la présence aux temps et lieux éloignés est
purement spéculative. L'introduction d'une hypothèse d'art inconscient
ou involontaire est une façon de contourner cet anachronisme. Deux
mutations principales ont marqué l'émergence du concept d'art :
une
certaine réification qui a déplacé l'emphase de l'activité vers le
produit : l'art est de nos jours plus un produit qu'un savoir faire
l'art tient plus de l'exception que de la règle ; ainsi il est vu comme création et non seulement comme production (artisanat)
En
Grèce antique le mot technè dénotait les activités soumises à certaines
règles et, selon le point de vue contemporain, confondait savoirs, arts
et métiers. Il est bien évident qu'on ne peut faire correspondre les
Muses avec les arts tels qu'on les a conçus bien plus tard. Une
divergence essentielle apparaît quand on se rend compte que la poésie,
art paradigmatique s'il en est, n'entrait pas dans la catégorie technè.
Rétrospectivement on observe l'ébauche d'une problématique esthétique
(autre anachronisme) chez Platon (Ion, Hippias majeur) ou Aristote.
La
civilisation romaine n'a guère avancé dans la conception d'un domaine
de l'art distinct des savoirs et métiers bien que Cicéron et Quintilien
y aient contribué par la réflexion.
La
vue qui s'est imposée jusqu'à la fin du Moyen Âge avait ajouté à l'idée
de règle la considération de l'effort requis dans ces activités. Selon
ces vues, héritées de Galien, on distinguait arts libéraux et
mécaniques. Le plus souvent seuls les premiers sont visés par l'emploi
du mot non qualifié ars, mais on est encore bien loin du sens
contemporain. L'astronomie était un art 'libéral' tandis que le
spectacle de 'theatrica' restait un art 'mécanique'.
Ce
n'est que vers la fin de ce qu'on appelé « la Renaissance » que le sens
familier du mot art commence à se dégager. Non seulement les sciences
s'en séparent, mais par la découverte des règles de la perspective
l'aspect visuel de toute chose devient une préoccupation dont
l'importance ne cessera d'augmenter.
Toutefois
c'est au siècle des Lumières que la notion d'art communément admise a
été établie. Partant des réflexions plus ou moins philosophiques sur
les sens et le goût une conception basée sur l'idée de beauté finit par
s'établir. Avec Emmanuel Kant l'esthétique acquiert son sens propre
d'une théorie l'art et le mouvement romantique en donne les exemples
paradigmatiques. À cette époque l'idée d'une observation de règles
passe au second plan tandis que l'intention artistique devient
primordiale. Toutefois une forte institutionnalisation de l'art en
musées, expositions et académies endigue pour quelque temps le
dérèglement total.
Mais le XXe
siècle, par ses pratiques et ses idéologies, remet en question tout ce
qui avait pu être retenu au siècle précédent. Il en découle deux
conséquences majeures :
l'existence
d'une essence de l'art qui se retrouverait à travers les âges et les
civilisation semble naïve au critique moderne[réf. nécessaire],
et une définition universelle semble impossible.
On
se contente de donner des listes plus ou moins complètes en notant ce
que à la suite de Wittgenstein on appelle des ressemblances familiales
: l'art est un ensemble de pratiques et de leurs résultats qui
partagent un certain nombre de traits mais aucun d'eux n'est universel.
La
liste classique des arts, tels qu'on les concevait au XIXe siècle,
continue de servir de référence. Elle indique que les principaux arts
sont au nombre de six : architecture, sculpture, peinture, littérature,
musique et danse.
À partir d'eux
par combinaison ou par prolongement on parvient à une liste plus
exhaustive qui peut inclure par exemple l'opéra, le cinéma ("septième
art"), la photographie, la bande dessinée (9e art), etc.
Histoire de l'art
Article détaillé : Histoire de l'art.
Les attributs de la peinture, de la sculpture et de l’architecture par Anne Vallayer-Coster.
La notion d'histoire de l'art [modifier]
Pour
la plupart des cas l'histoire de l'art suit les grandes coupes qui ont
été opérées par les disciplines géopolitiques. Selon l'ordre du temps
ou de l'espace on discerne par exemple l'art préhistorique, antique,
médiéval, moderne ou bien européen, africain, chinois ou encore
précolombien, postcolonial, etc.
Si
l'on adopte une vue historiciste de l'art, il devient évident que
l'histoire de l'art se construit en fonction de la notion d'art. Par
contre dans une vue naturaliste, qui considère l'art comme une
constante de l'humain, l'ordre s'inverse et elle décrit les instances
qui dévoilent son « essence ». Cette dernière approche est en conflit
avec l'opposition constitutive de l'artificiel au naturel qui fonde une
bonne partie des vues contemporaines sur l'art.
Exemple de classement géoculturel et chronologique:
L'art préhistorique
Les arts premiers
art d'Afrique
art d'Océanie
art arctique
art des Amériques
L'art de l'Asie
art d'Asie centrale
art de l'Inde
art de l'Asie du Sud-Est
art de Chine
art du Japon
L'Antiquité occidentale et moyen-orientale
art mésopotamien (Assur, Sumer, Babylone)
art égyptien
art grec
art romain
art paléochrétien
art copte
L'art médiéval méditerranéen
Art arménien
art byzantin
arts d'Islam
art pré-roman et roman
art gothique
L'art des temps modernes en Europe occidentale
la Renaissance
le maniérisme
le baroque
le rococo et le classicisme
l'académisme
Les mouvements du XIXe à nos jours, de l'époque contemporaine en Europe occidentale
le néoclassicisme
le romantisme
le naturalisme et l'École de Barbizon
le réalisme et le préraphaélisme
l'impressionnisme et le post-impressionnisme
l'expressionnisme
le fauvisme
le cubisme et l'art moderne présenté comme une avant-garde
l'art abstrait
le mouvement Dada et le surréalisme
l'art contemporain, ou qui a des conséquences directes sur l'art actuel
L'histoire
de l'art, comme toute discipline historique, s'est constituée au XIXe
siècle en adoptant sans questionnement le progressisme et les
valorisations de son temps. L'hypothèse d'une autonomie des phénomènes
artistiques et de leur développement intelligible a été délaissée assez
vite en faveur d'une visée beaucoup plus contextualiste et sociale.
Comme note Antoine Hennion, « la méthode de la sociologie de l'art et
celle de l'histoire de l'art s'opposent l'une à l'autre », la première
tend à éliminer ce que la seconde essaie au contraire d'épaissir[5].
Sur une échelle réduite, dans le cadre d'une école, un style ou un
mouvement, l'histoire de l'art continue d'être pratiquée avec un
certain succès, mais en fait elle est redevenue ce qu'elle était jadis
- érudition et non pas explication.
Arts et sociétés
Le
concept d'art tel qu'il s'impose depuis le XVIIIe siècle rend
intelligibles un grand nombre de phénomènes mais de nos jours sa
pertinence est mise en question. Son application requiert d'ignorer les
questions concernant la fonction sociale des artefacts qu'il vise et
ainsi il explique sans doute tout autant qu'il mystifie. Il est
difficile de soutenir, comme on le fait après Kant, qu'il est une façon
de voir esthétique, désintéressée dans son intérêt, et qui soit
universellement valable. Par ailleurs le terme « art » supporte assez
mal une qualification adjective ; les arts appliqués sont-ils vraiment
des arts? On tend vers la négative comme si « art » tout court s'oppose
à « art appliqué ». En fait l'utilisation non marquée du mot sous
entend la qualification initiale ( « bel »). On parle bien d'art
religieux mais l'artistisme supposément définitoire parait subordonné à
son application.
L'une des
premières formes de représentation, qu'on a nommé « art rupestre » (de
l'époque préhistorique) a sans doute été, à la fois la représentation
iconique d'animaux, mais elle a certainement possédé aussi une
dimension magique ou chamanique. En fait c'est la séparation de l'art
des phénomènes religieux ou sacrés qui est là, littéralement,
artificielle.
La Grèce antique,
disposant uniquement du concept de teknè, avait instauré un autre type
de séparation. Parmi les activités couvertes par ce nom, certaines
étaient patronnées par les Muses et considérées plutôt comme
divertissement ou amusement, le mot gardant une trace de cette origine.
Telles étaient alors l'histoire et l'astronomie tandis que la peinture
ou la sculpture étaient perçues comme utilitaires. Au delà de l'utile,
l'inutilité renvoie au superflu, à la richesse ou le luxe et cette
implication économique semble avoir joué un rôle considérable dans
l'autonomisation des activités (dites) artistiques.
Entre
la gravité du religieux et l'insouciance des nantis l'idée de l'art
trouve diverses projections, notamment dans le plan éthique (art
didactique) ou cognitif. La capacité d'émouvoir qui a certainement un
soubassement psychosomatique reste liée à l'idée d'art et elle a été
conçue de diverses façons.
Les
civilisations antiques ont eu une approche plutôt pragmatique vers tout
l'art et ses œuvres. Par contre, pendant toute la phase d'expansion du
christianisme une attitude hostile à l'art « païen » constitue la
norme. Le soupçon idéologique se retrouve depuis dans l'arsenal de tous
les conquérants.
Au cours du
XIXe siècle, la religion perd une partie de ses pouvoirs en Europe ou
l'on a noté une certaine tendance à faire de l'art lui-même un culte,
comme témoignent par exemple les aspirations de Matthew Arnold, Richard
Wagner ou Léon Tolstoï. La visite des musées et salles de concerts
avait gardé quelque chose des conduites rituelles. Mais au cours du XXe
siècle bien que l'affluence des sociétés européennes s'accroit, l'idée
d'art se trouve en déclin, proie d'une « profanisation » commerciale
sans précédent. Le postmodernisme a été l'occasion de donner une forme
à la prise de conscience de ces valorisations socioculturelles.
Toutefois les prix atteints sur le marché des œuvres suggèrent que les
enjeux de l'art continuent de défier toute compréhension
simplificatrice.
Art moderne et art contemporain
L'Art
moderne est né au XXe siècle, et a vu apparaître en peinture les
figures de Picasso, Matisse, Miro, Max Ernst et de nombreux mouvements
comme le surréalisme, l'Oulipo, la Nouvelle vague. En France, avec la
modernité, les peintres se détachent peu à peu du système des Salons et
de l'emprise de la bourgeoisie. Les grands collectionneurs
contemporains, les galeries et les critiques jouent un rôle important.
Le marché de l'art s'internationalise.
Marcel
Duchamp représente l'objecteur fondateur de l'art conceptuel. Il ne se
rattache pas plus à ses précurseurs que son intention n'est d'établir
un art de l'objet. Ce qu'il cherche au contraire c'est sortir de l'art.
Pourtant les ready-made de Duchamp (dont il est le concepteur) et ses
objets cinétiques apportent une nouvelle dimension à la conscience
esthétique, ainsi qu'une immense contribution à l'historiographie de la
sculpture moderne, bien contre sa volonté[6].
L'
art contemporain (performance, Land Art, figuration libre,
installations, etc.) en se détournant des représentations, a voulu
exprimer les outils de connaissance, les principes propres à l'art. Ce
détournement de la fonction de l'art relève alors d'une appropriation
des outils pour construire une autre forme de communication, toujours
proche du monde sensible, mais empreinte d'une logique non formelle.
Le
peintre Dubuffet, théoricien de l’art brut qui travailla la matière
pour en dégager l’essence même de l’œuvre d’art, écrivait : « L’art
doit naître du matériau et de l’outil, il doit garder la trace de la
lutte de l’outil avec le matériau. L’homme doit parler mais l’outil
aussi et le matériau aussi. »
Toute
la complexité de l'art est qu'il cherche à correspondre à la création
d'une œuvre singulière, susceptible d'éveiller l'attention. La
nouveauté, l'innovation, dans le fond comme dans la forme, sont les
moteurs de l'évolution. La créativité de l'artiste ne peut être bridée
par les règles de convenance, de politesse, de mode d'exposition
imposées de l'extérieur (hier par les traités, aujourd'hui par les
acteurs du marché de l'art). Dans cet état de fait, l'art financé par
la société est probablement un art qui ne peut exprimer entièrement sa
générosité, du fait même qu'il soit acheté par quelques initiés.
L'art
évolue avec la société. L'artiste contemporain assume parfois une
fonction sociale ou même politique pour tenter d'agir sur le monde.
Dans le même temps, les écoles d'art forment aujourd'hui des artistes
bien rodés aux processus de communication et de marketing du management
de l'art, et l’art est un enjeu politique d'état, enjeu politique et
marchand. On observe à l'heure actuelle une perte de repères par
rapport à l'autonomie et à la sincérité du créateur.
« L’Art est tour à tour, la réalité extérieure, la réalité plastique et la réalité intérieure. »
— René Huyghe
Le
mouvement de contestation artistique et sociale Dada puis le
surréalisme ont été des moments essentiels de l'art moderne, qui avec
Fluxus dans les années 1970 annonce ce qu'on a appelé « art
contemporain », qui correspond à une période d'apparition de nouveaux
supports : art vidéo, art numérique et à une diffusion accélérée de
l'art (surtout de ses signes et symboles les plus visibles), du design
et de la mode grâce aux nouveaux médias de la société contemporaine.
L'art actuel, médiatisé ou non est foisonnant et hybride, devenir
artiste reste toujours une aventure sociale risquée. Les outils de
création n'ont jamais été autant à la portée du plus grand nombre mais
les possibilités de diffusion des messages artistiques sont menacées
par le brouillage et la multiplication des supports. Le rôle de
l'artiste comme avant-garde intellectuelle et sociale apparait
également contesté. L'éducation artistique et l'éveil de la sensibilité
restent des parents pauvres des politiques actuelles et la
contradiction « Marché-rentabilité/Production de l'esprit libre » reste
vivace. Certains créateurs semblent cependant parvenir à allier
créativité singulière, exigence, talent et une certaine reconnaissance
médiatique (obligatoire pour une reconnaissance populaire) dans leur
domaine, notamment en musique, littérature ou cinéma.
L'art
contemporain est traversé par les concepts et les thèmes qui agitent la
société contemporaine : la dématérialisation de l'œuvre amenée par
(Yves Klein), dans les années 1960, voire des « artistes sans œuvres »,
l'écologie profonde (Hundertwasser), la propagande visuelle et la
publicité (Warhol), l'entreprise œuvre d'art ou vice-versa (Hybert),
l'activisme et le terrorisme (Parreno), la fascination pour la
révolution technique et les bio-technologies (Eduardo Kac ), la
chirurgie esthétique et la re-création corporelle de soi (Orlan),
graffiti-art, le slam, le piercing et le rap.
La philosophie de l'art
Les théories classiques : l'esthétique
Article détaillé : Esthétique.
Le
XVIIIe siècle voit l'émergence d'une conscience de l'art, comme le
siècle précédent avait révélé la conscience du sujet. Née de la
modernité philosophique, l'esthétique reste une discipline
philosophique qui malgré ses tentatives ne s'est pas émancipée en
science de l'art. Ce n'est que par simplification qu'on s'accorde à
dire que l'esthétique (philosophie des sens et de l'art) est une
réflexion sur l'art, car l'objet de cette réflexion n'est pas donné
d'avance. De fait ce sont les pratiques artistiques elles mêmes qui
sont devenues réflexives et de nos jours il n'est guère possible de
séparer l'œuvre d'art du discours qui la fonde: "esthétique" et
"artistique" sont deux adjectifs pratiquement interchangeables[réf.
nécessaire].
Cependant à
l'origine Alexandre Baumgarten, l'auteur à qui l'esthétique doit son
nom, avait considéré « l'art esthétique ». Selon son idée la beauté
fournissait l'occasion à la connaissance perceptible de parvenir à son
accomplissement parfait: un art du beau était l'équivalant de la
théorie bâtie sur la causalité. Une médiation s'effectuait par ce
troisième terme, « la beauté », introduit entre art et esthétique.
Tout
comme le regard moderne s'est exercé à découvrir un certain art
primitif, l'esthétique a découvert des précurseurs chez des auteurs
anciens. Par exemple le dialogue de Platon Hippias majeur porte
traditionnellement le sous-titre De la beauté et il est devenu un texte
canonique de l'esthétique. Alors il n'est guère étonnant de trouver
qu'il anticipe certaines questions dont on débat encore de nos jours.
Les textes issus des civilisation non européennes peuvent aussi être
soumis à une pareille lecture et de cette manière on reconstruit aussi,
par exemple, une esthétique chinoise ou indienne.
Tant
qu'on concevait l'art comme une activité réglée, le besoin d'un système
pour juger de ses résultats ne se faisait pas sentir. Ce n'est que
rétrospectivement que les divers Arts poétiques écrits depuis
l'antiquité sont devenus représentatifs d'une esthétique normative. La
Querelle des Anciens et des Modernes montre qu'en fait le caractère
conventionnel des normes ou règles était bien perçu. La première
ébauche de l'esthétique a été une tentative de naturaliser l'art et
cette tentation reste toujours vivace.
C'est
à Emmanuel Kant que l'on doit la solution de compromis qui, sous une
forme ou une autre, est actuellement en cours. Selon son idée
originale, « le génie est la disposition innée de l'esprit par laquelle
la nature donne les règles à l'art. »[8]. Si la beauté, ou plutôt
l'idée de beauté, intemporelle et universellement valable, liait l'art
au discours qui le concerne, l'innovation (artistique ou esthétique)
fait problème. Accepter l'apparition de génies, définis par leur «
talent naturel », ouvre la voie au changement ; l'art reste une
activité soumise à certaines règles, mais celles-ci peuvent changer.
L'esthétique qui était réduite par Baumgarten à la perception se
développe en jugement sur le perçu.
Ce
jugement ne s'appuie cependant pas sur des concepts définis. Le « Beau
» est universel sans concept. C'est dire au fond que c'est l'œuvre
géniale qui donne un nouvel aperçu sur le « Beau ». L'œuvre belle n'est
pas réductible à un concept, mais constitue une Idée esthétique, qui
donne à penser, mais est inexponible, transcende l'entendement. Kant
interprète le sentiment esthétique comme le fruit d'un rapport
inconceptualisable entre nos facultés, l'intuition, l'imagination et la
raison. C'est dire que le « Beau » s'enracine dans l'unité profonde de
la personne humaine, à laquelle l'expérience n'a pas accès. De plus, et
Hegel le critiquera, Kant accorde un primat du « Beau » naturel sur le
Beau artistique. Ou plutôt, le génie humain fait partie de la nature.
De
l'approche kantienne on peut dériver une bonne partie des vues et
pratiques artistiques ultérieures. On notera plus particulièrement
l'idiosyncrasie de ceux qu'une partie de la société accepte comme
grands artistes, la transgression conçue comme acte esthétique ou les
manifestes et autres programmes par lesquels les mouvements artistiques
modernes s'affirment[9].
Cette
façon de procéder en instaurant un troisième terme, beauté, génie,
culture ou autre, entre ce que l'on nomme « art » et ce que l'on
appelle « esthétique » parvient tout au plus à différer le problème car
à chaque fois revient la question ; qu'est ce que la beauté, le génie
ou la culture? Comment s'accorde-t-on sur la validité de la réponse?
Que l'art propose ses œuvres à une esthétique ou que l'esthétique
circonscrive le domaine de l'art, il y a là une circularité que l'on
évite difficilement sans faire appel aux dimensions historiques et
sociales de ces phénomènes.
Les théories modernes de l'art
Sans
que la distinction soit claire, on peut soutenir que les théories de
l'art traitent ce sujet d'une manière plus générale que l'esthétique.
Par exemple une théorie sociologique de l'art a été proposée par Pierre
Bourdieu, une théorie sémiologique par Nelson Goodman etc. Un même
auteur présente parfois les deux approches comme par exemple Hegel qui
considère l'esthétique dans un cours spécial tandis que sa philosophie
affirme que l'art est une forme en déperdition.
Le
projet inachevé de Theodor W. Adorno est paru sous le titre Théorie
esthétique. Un point de distinction utile est de noter qu'une
esthétique peut être normative, ce qu'une théorie ne saurait être.
Le
seul point sur lequel les théories de l'art s'accordent est qu'il
s'agit d'un fait humain, et d'une pratique sociale. Deux grandes
alternatives sont possibles selon qu'on accorde à cette pratique un
rôle subordonné ou autonome. Envisager la subordination est une
approche réductionniste; elle propose généralement une vue de l'art
comme communication - représentation ou expression. Dans l'autonomie,
que l'on compare à celle des jeux, l'art se propose comme « activité
autotélique », c'est à dire sans autre but que lui même, ce que résume
la célèbre formule de « l'art pour l'art ». Les artistes et ceux qui
gravitent autour de l'art ont de bonnes raisons pour défendre des
conceptions de ce type et leur stratégies théoriques ont souvent
recours à une des deux options opposées: renvoyer à une ontologie
propre - l'art serait lié à l'aspect spécifique de l'être- ou,
paradoxalement, se faire nominaliste en insistant qu'il y a des œuvres
d'art mais non « de l'art »[13]. Les réductionnismes, issus
principalement d'autres milieux, tiennent généralement que c'est par
exagération qu'on arrive à ces vues-limites.
Une forme d'interaction et d'échange
Calligraphie
animéeAujourd'hui, l’art établit une relation qui permet d’englober
dans une même interaction, dans un même échange, une œuvre, son
créateur et le récepteur, le destinataire de cette œuvre (spectateur,
auditeur…)[14]. Les différentes formes que peuvent revêtir cette
médiation concrétisent certaines relations entre l’homme et la nature,
c’est-à-dire entre un esprit humain et son environnement. Une pensée à
la fois consciente et inconsciente, individuelle et collective, un
esprit libre et imaginatif communique avec le monde extérieur. Hegel,
dans ses Leçons sur l'esthétique, a tenté de définir la transcendance
de cette relation en posant a priori, que : « Le beau artistique est
plus élevé que le beau dans la nature [puisqu’il] dégage des formes
illusoires et mensongères de ce monde imparfait et instable la vérité
contenue dans les apparences, pour la doter d’une réalité plus haute
créée par l’esprit lui-même. »
Chercher
la vérité derrière l’apparence. Peut-on envisager finalité plus
captivante ? L’art devient alors le prolongement de l’action. Cette
philosophie de l’action, développée notamment par Hannah Arendt, émerge
quand le geste artistique devient l’expérience d’une relation
particulière. Aussi l’art ne cherche-t-il pas à imiter ou à reproduire,
mais à traduire une réalité métasensible. Il peut alors faire poindre
le spirituel dans le champ de l’expérience commune.
La forme comme dynamisme du sensible
En
art du moins, la forme n'est donc pas un principe étranger au contenu,
et qui y serait imprimé du dehors, mais la loi de son développement,
devenue transparente. Elle n'est pas pensée par le spectateur, ce qui
voudrait dire qu'elle est de l'ordre du concept, et donc étrangère à la
perception proprement dite, qu'elle ne se donne pas à voir. Paul Valéry
pouvait écrire que « la belle architecture tient de la plante. La loi
de croissance doit se sentir. De même la loi de ménagement des
ouvertures. – Une fenêtre ne doit pas être un trou percé comme par un
vilebrequin dans une planche, mais être comme l'aboutissement de lois
internes, comme la muqueuse et les modelés des orifices naturels. »
Avant
d'être transcrite dans la notation, la mélodie existe comme déploiement
même du son, exploitation de certaines possibilités insoupçonnées de ce
matériau. La couleur ne remplit pas l'espace impressionniste, mais en
est la vibration. La poésie ne consiste pas à imposer à la langue une
signification préétablie, ni à produire des bouts rimés. Elle laisse
plutôt la parole aux mots eux-mêmes, comme si elle n'était le discours
de personne. Il s'agit de révéler un mouvement inhérent à une dimension
sensible du monde. L'art donne à voir comment le sensible s'engendre:
le regard du peintre demande à la lumière, aux ombres, à la couleur «
comment ils s'y prennent pour faire qu'il y ait soudain quelque chose,
et cette chose » (L'œil et l'esprit, Merleau-Ponty).
Les grands thèmes de réflexion sur l'art
Art et attention au sensible
L'art
ne se contente donc pas de copier la nature. Pour autant, il ne se
détourne pas d'elle, mais remonte jusqu'à la source. Dans la peinture
de Cézanne, rappelle Merleau-Ponty, il ne s'agit jamais de la couleur
en tant que simulacre des couleurs de la nature, mais de la dimension
de couleur, où notre cerveau et l'univers se rejoignent. L'artiste est
sensuel, il aime saisir la personnalité propre, le visage des choses et
des matières, comme le petit morceau de mur jaune dont parle Proust à
propos de Vermeer.
C'est
justement parce que la nature morte n'est pas la pomme, mais la
représentation de la pomme, que pour la première fois je puis la voir
au lieu de la penser ou de la croquer, considérer son aspect, et non
son essence ou son utilité. C'est en ce sens que l'art déréalise son
objet, comme le souligne Sartre, à la suite de Kant. La mer est pour le
peintre impressionniste une surface colorée, une apparence, et non le
milieu de vie des organismes marins. Dans Qu'est-ce que la
littérature?, le même Sartre peut, sans contradiction, montrer que
c'est la poésie qui constitue pour la première fois le mot en objet, en
chose, quand il n'était auparavant qu'un organe d'exploration du monde,
comme les antennes des insectes.
C'est
que « l'art de voir (au sens dessin et peinture) est opposé au voir qui
reconnaît les objets » (Paul Valéry). Le visible est sensuel, lui aussi
: tenu ainsi à distance, il brille pourtant des feux de nos propres
désirs.
Être attentif au
sensible, c'est encore, comme nous y invite Henri Focillon dans sa Vie
des formes (1934), étudier les possibilités propres d'un matériau,
comme le bois, la pierre, le fil d'encre du calligraphe. Prenons
pourtant ici le mot « matériau » en un sens plus large: l'architecture
gothique est tout autant faite de lumière, ou de verticalité, que de
pierre. D'un point de vue esthétique, le temps et l'espace eux-mêmes
sont l'étoffe de l'expérience, comme une langue celle de la pensée. Ce
ne sont pas seulement des formes abstraites. Et, certes, l'art ne se
contente pas d'explorer les soubassements de l'expérience sensible, il
tire de la connaissance intime de cette logique, ou de cette géométrie,
des structures et des effets insoupçonnés d'abord.
Arts et représentations
La
notion de « représentation » depend de la question que l'on se pose au
debut de la problematique et au commencement de l'art lui meme avant la
prehistoire pendant le cretacé prend un sens tout particulier si l'on
veut saisir le sens de l'œuvre d'art, et son rapport à la beauté.
L'œuvre de l'art est une forme de « re-présentation », c’est-à-dire
qu'elle présente autrement la réalité de l'univers. L'œuvre d'art ne
vit pas de son rapport plus ou moins adéquat au réel, mais des affects
qu'elle produit ; par exemple, les toiles de Munch ne représentent pas
une forme de tristesse, mais produisent un sentiment, une émotion, qui
pour certains s'appelle la tristesse, pour d'autres l'abomination.
C'est peut-être parce qu'elle est productrice d'affects, et qu'elle est
à elle seule un « univers », que l'œuvre d'art est belle (l'art
contemporain est beau quand on a accroché à l'initiation que l'artiste
cherche à nous procurer). Ou alors, comme le fait Danto, il faut
écarter la beauté qui, pour les anciens n'était qu'un critère de
conformité de l'œuvre aux jugements esthétique. C'est ce qu'il
explique, à travers l’analyse de certaines œuvres contemporaines.
C'est
la grande difficulté des arts de notre époque : ils sont souvent liés
par des directions intellectuelles et des expérimentations qui ne
peuvent pas être lisibles directement et sans connaissance de leur
genèse: ce sont des friches de découvertes qui deviendront peut-être de
vraies œuvres aux yeux des machines humanisées (post-futurisme).
Jamais
une œuvre jeune n'est comprise sans avoir assimilé sa généalogie.
Cependant on remarquera que le terme d'"art" est trop couramment
appliqué à toute médiatisation spectaculaire, et cela à son détriment.
Les
médiations artistiques dépassent et transcendent tous les problèmes de
la connaissance du monde. L’étude des phénomènes physiques et
l’évolution des technologies y jouent un rôle important, puisqu’elles
influencent souvent les outils de création. Une expérimentation
artistique, parallèle à l’expérimentation scientifique, vient ainsi
fonder l’élaboration d’une nouvelle esthétique, soutenue par la place
croissante des techniques dans la vie quotidienne.
L'art
pourrait donc servir à reproduire des concepts éternels conçus ou
imaginés par la seule contemplation. L'origine de l'art provient bien
de la connaissance des idées et des choses, mais transcende cette
connaissance pour la présenter autrement, devenant de ce fait
représentation. Si tant est que l'art se fixe des objectifs (ce qui va
bien sûr contre sa nature), un des buts marquants de l'art serait donc
de communiquer la connaissance profonde acquise non seulement par les
sens, mais aussi par l'esprit. L'art de pure imitation sera toujours
très loin du vrai : l'œuvre ne peut être aussi belle que la chose
réelle ; elle est d'un autre ordre, et n'en saisira jamais qu'une toute
petite partie. L'imitation de la nature ne traduit jamais son niveau de
beauté, cependant que la représentation artistique dévoile un absolu
propre à l'artiste, une vérité de notre espace naturel et inimitable
puisque personnel.
Imitation et représentation
Mais
cette production n'est pas obligatoirement de nature volontaire.
Contrairement aux autres productions humaines, l'acte de création se
situe le plus souvent hors du champ de la conscience. Il nous permet
d'accéder à une communication du spirituel, de l'intemporel, de
l'universel. Nietzsche pense également que l'art doit servir à masquer
ou à embellir tout ce qui est laid dans la nature humaine. Pourtant,
aujourd'hui, certains arts nés de la modernité, tel le cinéma,
cherchent autant à embellir la nature humaine, qu'à mettre en évidence
toute sa noirceur dans l'espoir peut être d'en extraire les germes de
l'incompréhension et de l'intolérance.
Le
cinéma, en limite de l'art, donne à voir des crédibilités quotidiennes,
qui mettent à jour, comme le roman, mais en plus restreint, une
expérience humaine que nous ne saurions découvrir autrement.
Cette
logique conduit l’art vers une nécessité, vécue de l’intérieur par
l'artiste. La musique, plus que « l’art d’organiser les sons » reflète
l’expression d’une entité sonore « autre », d’une forme irréelle et non
conceptualisable de la communication ; elle est une imagination totale,
qui réunit à la fois de nouvelles représentations et une conception
neuve de leur construction. Comme les autres arts, elle exprime le
rationnel et l'irrationnel, mais en s'écartant du mythe ou de la magie.
Tous
les processus créatifs opèrent, par l’esprit même qui les guide, une
catharsis qui garantit un dépassement des limites posées à la
connaissance du monde. La symbiose sensorielle qui nourrit l’action
créatrice n’est que la forme élémentaire de la représentation qui
infère l’imaginaire.
En tant
qu’approche différente, plus tournée vers l’esprit que vers la pensée,
l’art doit inéluctablement déboucher sur le prolongement de l’œuvre
d’une nature dominatrice et confinée à des transformations
évolutionnistes. Tentant de s’affranchir de ces limites de la pensée
humaine, l’art retrouve la substance spirituelle, quasi mystique, quasi
magique, de la création. Cette volonté d’apaiser notre soif de
connaissance n’est pas obligatoirement malsaine. Mythe et magie ne sont
pas foncièrement des échappatoires aux manques de rationalité des
événements qui nous entourent, même s’ils sont, pour certains, des
aveux de faiblesse, des limitations transfigurées.
Ils
peuvent parfois marquer aussi la recherche d’une spiritualité absente.
L’art en revanche est lui toujours une nécessité d’exprimer le monde de
cette façon-là. Il ne cherche pas à remplacer la réalité par une autre
entité de meilleure consistance ; il ne cherche pas non plus à
transgresser des limites inhérentes à notre nature, mais il cherche à
les transcender. L’art cherche à utiliser le monde des sens pour
pénétrer dans un monde de l’esprit, ou peut-être même dans celui de
l’âme. Ce faisant, l’art cherche l’immanent derrière le permanent. Il
essaye de prouver que le potentiel humain ne se réduit pas à la
transformation, mais qu’il a conquis la dimension de la création.
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