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Anne-Louise Amanieu Ecole du Louvre Spécialité Arts de l'Afrique Décembre 2007
Masque Fang de la société ngil, Gabon, Pavillion des Sessions du musée du Louvre
IDENTIFICATION
Le masque Fang du Pavillon des Sessions est constitué de bois partiellement recouvert de kaolin et mesure près de 70 cm de haut. Il date de la fin du XIX° siècle ou du début du XX°. Répertorié sous le numéro d'inventaire 65-104-1, il provient de l'ancienne collection André Lefèvre et a été acquis en 1965 par le Musée de l'Homme.
DESCRIPTION Ce grand masque casque représente un visage humain stylisé et allongé dont la face cordiforme et légèrement concave est partagée par un long nez fin. Sur le sommet du front bombé se développe un bandeau clouté qui permet de fixer des ornements et qui supporte une crête dont le prolongement à l'avant se traduit par trois traits fins qui rejoignent l'arête nasale et se déploient au dessus des arcades sourcilières. Les oreilles en forme de C se détachent en haut relief de part et d'autre du visage ; quant aux yeux et à la bouche, ils sont à peine évoqués par de simples incisions mises en valeur par de fines entailles gravées qui rappellent les tatouages qu'arboraient les Fang Ntoumou et Mvai selon Günter Tessmann.
ANALYSE Le masque du Ngil (ou Ngi) existe exclusivement chez les Fang, peuple établi de la rivière Sanaga (sud du Cameroun) au fleuve Ogooué (nord du Gabon) et en Guinée Equatoriale après une période de migration aux XVIII° et XIX° siècles, stoppée par les autorités coloniales. Le révérend père Henri Trilles, durant son périple à travers le pays Fang entre 1899 et 1901 pour des missions d'évangélisation, précise que le Ngil était essentiellement connu du sous peuple Betsi. Ce masque appartient à une association du même nom dont le but principal était de réguler l'ordre social en découvrant les coupables de hauts faits et en les punissant, parfois jusqu'à leur donner la mort. Le Ngil ne se préoccupait que des cas graves pour lesquels il était appelé, les problèmes quotidiens étant en général réglés par le ntol, père de famille. Cette association qui poliçait et terrorisait les populations a beaucoup agit jusqu'à son interdiction par l'administration coloniale vers 1910. Notons tout de même que les masques Ngil ont pu être encore utilisés durant presque une dizaine d'années après l'interdiction dans les zones plus préservées de la Guinée Equatoriale et de la vallée du Ntem. Au sein de l'association exclusivement masculine, il existait plusieurs grades, précisément nommés par Louis Perrois, ethnologue qui entre autres est resté 10 ans, de 1965 à 1975 au Gabon pour un poste de direction du Musée des Arts et Traditions de Libreville. - Tout d'abord, le chef du Ngil, le mbege-feg, qui a été formé par un ancien grand initié et a surpassé avec succès de nombreuses épreuves tant physiques et douloureuses (l'épreuve de la table ou celle des guêpes pour ne faire que les citer) que morales, en particulier au moment de sa consécration où, selon le révérend père Trilles, il doit égorger un de ses parents proches. Il est doué d'une certaine puissance qui passe en partie par la connaissance des plantes et des secrets des villages. - Le chef du Ngil est entouré dans son action par ses acolytes, les nnom-ngi qui ont également subi de dures épreuves, à commencer par une flagellation, une confession des crimes et des ruptures d'interdits, une épreuve ordalique (souvent par le feu ou le poison) et des sacrifices. Ce passage à la fois symbolique et réel se déroulait dans l'esam, un enclos secret à l'extérieur du village, aménagé avec une hutte sous laquelle était creusé un grand souterrain dans lequel on disposait des ossements et des lances où le candidat devait se glisser. En réalité, la preuve de sa détermination suffisait à estimer son courage et on l'empêchait de s'y jeter au dernier moment. A la surface on façonnait de grands gisants de terre de forme vaguement humaine, représentant Ngil et son épouse, photographiés par Günter Tessmann en 1913. - Enfin, les candidats à l'entrée dans le Ngil étaient des mvon-ngi, qui après un mois de réclusion durant lequel on leur fournissait de le nourriture dite "excitante", étaient désignés aptes ou non à subir les premières épreuves suivant l'interprétation de leur communication avec les esprits pendant leurs rêves ; il s'agissait là d'une première purification physique et morale.
Ainsi, le groupe allait de village en village, à la demande et aux frais du commanditaire, le mod-esam. En effet, à la suite d'un décès inexpliqué ou de soupçons de sorcellerie, le Ngil était appelé parfois de très loin, il s'installait dans une case près du village et terrorisait la population en cherchant le coupable. Dans un de ces récits et à l'entente du cri lugubre qui annonce son arrivée, le révérend père Trilles le nomme comme "le fétiche redouté des femmes et de beaucoup d'hommes, le fétiche chargé de découvrir et de châtier les femmes infidèles, les voleurs et les meurtriers". Pourtant, dans la suite du récit, il décrit le mbege-feg comme non masqué (c'est un des acolytes qui porte un masque) et, à l'image de Tessmann, il omet de décrire les masques qu'il observe. Ce dernier parle du Ngil comme "la plus significative et la plus sympathique" des formes cultuelles du territoire pahouin. A ce propos, Philippe Laburthe-Tolra souligne que la séance du Ngil à laquelle a assisté Tessmann lors de son expédition entre 1905 et 1909, aurait été spécialement organisée pour lui et donc fortement dénuée de véracité En réalité, on ne possède que peu d'informations précises sur ces grands masques et les quelques exemplaires authentiques des collections publiques et privées sont tous ressemblants mais uniques dans leur facture. On peut toutefois mettre en relation certains aspects du masque et du déroulement ou de la signification du rite. Par exemple la blancheur du kaolin, avec lequel il était régulièrement repeint, évoque le pouvoir des ancêtres. La mort prend beaucoup de place dans les pratiques du Ngil qui usent de chair humaine pour procéder à l'ordalie par le poison, d'os pour frapper pendant les épreuves initiatiques, ou pour garnir l'esam et symboliser "la mère du Ngil", même si ces os sont anonymes (provenant d'esclaves, de prisonniers de guerre, de défunts des villages voisins…) ou, en tout cas, réputés comme tels. La taille de la bouche à peine mentionnée sur la masque a également son importance: le chef du Ngil surgissait à l'aube ou au crépuscule en hurlant, devancé par un jeune garçon agitant une clochette qui conseillait à la population de se cacher. Ce cri si caractéristique poussé par le mbege-feg, que le révérend père Trilles décrit comme inhumain est certes le résultat d'un entraînement intensif et de l'ingurgitation de plantes urticantes mais surtout le fait que la bouche du masque est extrêmement réduite et non évidée -comme c'est le cas pour le masque du Pavillon des Sessions- afin de donner de profondes résonances qui effraient les populations.
Il est difficile de parler de style pour les masque du Ngil puisqu'il n'en existe que très peu d'exemplaires, tous collectés fin XIX°/ début XX° siècle. On peut toutefois procéder à une brève juxtaposition des masques Ngil des différentes collections et suivre par ailleurs la description assez générale qu'en fait Louis Perrois.
"Tous possèdent sensiblement la même morphologie: un visage plus ou moins étiré vers le menton, voire complètement déformé ; un front énorme et arrondi (formant une sorte de casque qui pouvait s'emboîter sur la tête du danseur) ; un nez toujours de taille démesurée, flanqué de petits yeux rapprochés, percés, simplement incisés ou taillés en amande ; une bouche minuscule et sans lèvres, avec le menton parfois garni d'une barbe. La surface est blanchie au kaolin (exceptée celle du masque de Leipzig) et quelquefois décorée de scarifications finement gravées sur les joues et le front. Lorsque le masque porte une coiffure, celle-ci représente une sorte de bonnet à crête longitudinale et bandeau frontal."
Tous les masques du Ngil n'étaient donc pas totalement blancs: certains présentaient une vive polychromie obtenue par de la terre ocre, du rouge de padouk et du noir de bitume pyrogravé. C'est le cas du masque collecté par Heise en 1899 au sud du Cameroun et actuellement conservé à Leipzig, dont les volumes plus massifs diffèrent des courbes de l'exemplaire du Musée du Quai Branly. Par sa petite taille (une quarantaine de centimètres de haut), il se rapproche de celui de la collection Barbier-Mueller (44cm de haut), magnifié par l'élégance de ses motifs scarifiés et de celui de l'ancienne collection Vérité (48cm de haut) au menton particulièrement avancé à l'extrémité d'un visage concave et présentant également des scarifications parfaitement disposées. Ce dernier a atteint la somme record de 5,9 millions d'euros lors de la vente à Drouot, en juin 2006, de la collection débutée par Pierre Vérité dans les années 1920. Dans un ouvrage récent, Louis Perrois va même jusqu'à préciser que "toutes les grandes collections d'art "nègre" puis d'art "tribal" de niveau international doivent, depuis les années 1930, comporter un grand masque Ngil des Fang d'Afrique Equatoriale". Il poursuit en mentionnant l'imposant masque du Musée de Berlin, collecté en 1895 par Oelert et présent à l'exposition new-yorkaise de 1935, African Negro Art, dont les dimensions dépassent celui du Musée du Quai Branly.
CONCLUSION Pour conclure, nous pouvons reprendre les mots du catalogue de la vente de la collection Vérité afin de confirmer l'importance des masques Ngil dans une vision globale de l'art: "de tout l'art Fang, voire des arts primitifs en leur totalité, les masques Ngil sont sans conteste parmi les objets les plus rares et les plus convoités". Le masque Fang qui a appartenu à Vlaminck puis à Derain, aujourd'hui conservé au Musée d'Art Moderne de Paris a été l'emblème de toute une génération d'artistes et ne dit-on pas que Picasso a peint ses Demoiselles d'Avignon sous l'emprise de la beauté et de la force d'un masque de ce type? L'harmonie des formes des masques Ngil qui provoque chez les occidentaux une véritable admiration nous fait parfois oublier, derrière cette esthétique proche de la perfection, son rôle premier d'inquisiteur terrifiant les populations. La preuve en est qu'avant que l'on y porte un intérêt plus poussé, le masque Ngil était mal connu… reportez vous donc à la description du catalogue de vente de la collection André Lefèvre en 1965!
BIBLIOGRAPHIE - FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane, 2006 , Gabon, présence des esprits, Musée Dapper. - LABURTHE-TOLRA Philippe, 1985, initiations et sociétés secrètes au Cameroun: les mystères de la nuit, éditions Karthala. - LABURTHE-TOLRA Philippe et FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane, 1997, Fang: exposition novembre 1991/avril 1992, Paris, éditions Dapper. - PERROIS Louis (pour la préface), Le Gabon de Fernand Gébert: 1913-1932 - PERROIS Louis, 1985, l'art ancestral du Gabon dans les collections du musée Barbier-Mueller, éditions Nathan. - PERROIS Louis, 2006, Fang, éditions des Cinq Continents. - RAPONDA-WALKER André et SILLANS Roger, 1962, Rites et croyances des peuples du Gabon: essai sur les pratiques religieuses d'autrefois et d'aujourd'hui, Paris/Dakar. - TESSMANN Günter, traduction partielle de Die Pangwe dans l'ouvrage Fang publié par le musée Dapper en 1991. - TRILLES Henri, 1912, chez les Fang ou quinze années de séjour au Congo français. - Collection André Lefèvre, Paris-Drouot, décembre 1965. - Collection Vérité, P
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