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African Paris. Art premier primitif africain

Les Maîtres de Buli


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Maitre de BULI ( Maitre de Katéba)

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POL P. GOSSIAUX 
 
Professeur d’Histoire et Ethno-sémiologie 
des arts africains à l’Université de Liège. 
 
 
 
Les Maîtres de Buli 
 
Esthétique et Ethno-histoire (avec deux inédits) 
 
 
 
En 1937, le hasard d'une exposition1 mit en présence deux sièges à 
cariatide « royaux »2 d'origine Luba (Zaïre) qui offraient entre eux de 
frappantes similitudes, tout en présentant d'étroites analogies avec la 
célèbre porteuse de coupe agenouillée, conservée au Musée de Tervuren3. 
Tout en entrant incontestablement dans l'orbe de la grande statuaire des 
Baluba (plus précisément du groupe des Bahemba-Bakunda), ces œuvres 
s'écartaient à tel point des canons esthétiques fondamentaux de ce peuple 
que l'organisateur de l'exposition, Fr. M. Olbrechts, acquit la conviction 
qu'elles étaient de la main d'un artiste unique dont le génie, profondément 
original, n'avait su se plier aux normes esthétiques imposées par la 
Tradition. « Pour la première fois, note M. Leiris, l'idée de l'individualité 
d'un sculpteur africain (était) mise en avant »4. 
 
La porteuse de coupe de Tervuren, longtemps surnommée « Kabila 
la mendiante »5, avait par son originalité plastique et le profond mystère 
qu'elle semble receler intrigué de nombreux esthètes, des cubistes (C. 
Einstein) aux surréalistes (Ph. Soupault). Mais l'on attribuait volontiers ce 
chef-d'œuvre au hasard d'un miracle unique. Ainsi notait Soupault : « 
l'émotion qu'elle suscite est provoquée non par l'habileté réelle du sculpteur 
mais par l'ardeur involontaire qui s'y révèle »6. La découverte de deux sièges, 
dus à la même main, témoignait au contraire d'une maîtrise totale, volontaire, 
des matières et des formes. 
 
Pour la première fois, pour reprendre l'expression de Leiris, un 
artiste nègre, reconnu comme tel, se trouvait placé au « rang des plus 
grands sculpteurs de tous les temps » (Denise Paulme
7). 
 
Dans les années qui suivirent, neuf autres sculptures, relevant du
même style, furent identifiées. Plusieurs portaient comme mention d'origine 
: « Buli sur le Lualaba ». L'on prit donc, à la suite d'Olbrechts qui la décrivit 
en 1946 et 19518, l’habitude de désigner la production du Maître anonyme 
sous l'appellation de « sous style à face allongée de Buli ». Sur les douze 
œuvres répertoriées alors, huit étaient des sièges dits « royaux » : personne, 
apparemment, n'a relevé à l'époque cette anomalie. 
 
En 1960, la découverte d'un appui-tête (musamo) dû au Maître, par 
J.W. Mestach, permit à cet excellent connaisseur de l'art nègre de donner 
une synthèse des hypothèses élaborées sur ce « sous style » et d'ouvrir de 
nouvelles pistes de recherche9. 
 
Depuis cette date, une quinzaine de pièces au moins sont venues 
enrichir la nomenclature des œuvres connues du Maître. 
 
Certaines proviennent de fonds anciens. Mentionnons, outre deux 
sièges à cariatide agenouillée, de teinte ocre-jaune, la porteuse de coupe 
assise recueillie par Fr. Miot, lors de la quatrième campagne anti-esclavagiste 
(1895)10, et le petit ancêtre de la collection Cambier, récolté avant 190911. A 
cette catégorie appartient également la petite tête (fig. 1) que nous 
présentons ici pour la première fois et qui fut découverte, selon une 
tradition familiale, peu après la première guerre mondiale par un agent 
territorial de Kongolo. La base en est détériorée, mais l'on peut conjecturer 
que la tête devait se prolonger par un socle cylindrique évidé. La tête, 
creusée, recèle toujours en effet une importante charge magique, fixée avec 
de la résine, qui a été introduite par le fond. La radioscopie de l'objet12 révèle 
parmi les éléments identifiables qui entrent dans la composition de la 
charge magique, la présence d'une griffe, d'une canine de singe (très 
probablement d'un jeune gorille) et enfin d'un fragment minéral, sans doute 
de cristal de quartz. Ce dernier élément autorise les hypothèses les plus 
sérieuses quant à la destination de l'objet. Le cristal de quartz (ngulu), dont 
la translucidité favoriserait la voyance, est l'un des accessoires magiques les 
plus ordinaires des devins bilumbu (sur lesquels l'on reviendra). L'on sait, 
par ailleurs, que dans tout le nord-est du Buluba, le génie de la devination 
est représenté par une petite figurine nommée Kabwelulu (« pierre de 
l'esprit ») ou encore Mwandjalulu, dont le corps n'est le plus souvent 
constitué, en effet, que d'un corps cylindrique parfois évasé, ou 
tronconique13. Le rapprochement avec Kabwelulu rendrait compte de la 
présence de la dent de gorille (kihemba : « so ya mwema ») dans la tête. Ce 
primate, disparu de la région, mais dont de nombreuses légendes gardent la 
mémoire, passait pour détenir des dons de voyance éminents : on lui 
attribuait un troisième œil, situé derrière la tête, à l'intérieur du crâne. La 
dent favoriserait ainsi le processus de la devination. 
 
Fig. 1. Tête d'une statuette, sans doute Kabwelulu, 
Buli inédit, bois, charge magique, h. 8, 1 cm. 
Photo de l’auteur. 
 
D'autres œuvres ont été retrouvées, depuis une vingtaine d'années, 
sur le terrain. Ainsi en est-il de la figurine d'un ancêtre, peut-être un Prince 
de Buli, que nous avons découverte en 1971 (cfr. fig. 2) et de l'effigie du 
guerrier Kalala Luhumbo, étudiée en 1977 par le P. Neyt15. Cette pièce 
avait été repérée à Sola, près de Kongolo, dès 1970. 
 
 
 
 
Fig. 2a 
Figure d’un prince de Buli. Bois dépatiné. 
Ceinture en peau d’antilope. Ht. 299 mm. Photo de l’auteur. 
 
 
 
 
Fig. 2b 
 
 
Plusieurs œuvres sont toujours conservées sur place. Les 
témoignages, formels, mentionnent entre autres, un couple d'ancêtre 
(mikisi), un masque-singe du type imbombo ya 'so que nous avons étudié 
en 197316 et un couple porteur de coupe (mboko) remplie de kaolin. De 
même, le très beau siège (kihona) à cariatide debout que nous présentons 
ici pour la première fois (fig. 3), étudié sur le terrain en 1985, nous avait été 
décrit dès 1969. 
 
Fig. 3. Siège aulique de Buli, bois, 52 cm, 
coll. privée. Photo J.P. Parduyns. 
 
 
L'impressionnante figure sculptée ici représenterait Kamania, 
portant dans ses flancs les germes de sa descendance, soit le peuple des 
Bakunda. Peuple apparenté aux actuels Babùyù qui formait le fonds de la 
population de Buli. Le dernier propriétaire de ce kihona le considérait 
comme l'emblème de l'ancienne allégeance de sa famille au bulohwe 
(pouvoir lié à la détention du sang impérial sacré, transmis par les femmes). 
Des souvenirs précis rattachent sa création à l'époque des conquêtes 
opérées par Buki dans le nord de Buli (cfr infra). La patine rituelle, 
composée d'enduits de farine, de lie, d'huile et de graisses animales, 
comporterait également des pâtes de graines de lubenga (sorte de roucou), 
en hommage à l'ancêtre impérial Mbidyi Kiluwe17. Les bras en étaient 
couverts de bracelets de perles et la poitrine et le haut du ventre des 
ceintures lubuka et kifuka, réservées aux femmes enceintes18. Le fait 
explique que ces endroits aient pu subir, de l'intérieur, les atteintes des 
insectes phytophages (termites), qui abhorrent la lumière. 
 
Stylistiquement, cette œuvre offre quelques traits singuliers en regard 
des créations les mieux connues du Maître. Moins baroque, elle s'enferme 
dans un hiératisme accentué qui renforce paradoxalement son surprenant 
dynamisme. Observant un équilibre beaucoup plus strict entre les 
proportions de la tête, du corps et des membres, elle se refuse à toute 
anecdote (notamment dans le traitement de la coiffe19, des oreilles, des 
mains) ; et l'on serait tenté de dire que, tout en relevant incontestablement 
de la tradition de Buli, elle conserve plus étroitement l'empreinte de 
l'esthétique classique hemba-kunda, qu'inspire le souci d’un d'idéalisme 
épuré. 
 
Les enquêtes menées lors de la découverte de ces œuvres autorisent 
des réponses nouvelles aux énigmes, nombreuses, que pose l'art de Buli. 
L'une de celles-ci touche à l'unité même de l'œuvre ou encore à la pluralité 
possible de sculpteurs. 
 
Déjà, dans l'ensemble isolé par Olbrechts, certains historiens avaient 
cru pouvoir distinguer au moins deux groupes d'oeuvres : le premier, dont 
la Porteuse de coupe de Tervuren ou le Siège de Londres demeurent les 
paradigmes, comprend des sculptures, généralement de teinte noire, 
portant des traces d'utilisation et dont les figures émaciées semblent refléter
l'intensité d'une austère méditation. La tête présentée dans cet article illustre 
bien l'esthétique de ce premier groupe. L'autre est formé de pièces 
(principalement des sièges) d'aspect plus récent, de teinte plus claire 
(ocre/jaune, avec des rehauts noirs), dont les figures arrondies, un peu 
empâtées, et où s'affirme un réalisme accru, se répondent comme des 
paradigmes stéréotypés, dont l'âme semble s'épuiser. De ces dernières 
œuvres émane le sentiment confus d'un déclin — comme l'avait noté W. 
Mestach20. Ces historiens n'hésitaient donc pas à conclure qu'il y avait eu 
plusieurs « Maîtres » de Buli. Olbrechts lui-même, sans trop y croire, avait 
avancé l'hypothèse d'un « atelier » installé à Buli. W. Fagg, beaucoup plus 
catégorique, opposant « la profondeur de sentiment » du « premier » Maître 
à l'humour « somewath pawky Disneyesque » de son « pupil », concluait 
qu'il y avait eu deux, voire trois « Maîtres » qui avaient œuvré à Buli21. 
 
Nous nous sommes opposé autrefois à la thèse de Fagg. L'idée d'un 
« atelier » de sculpture répugne aux données de l'ethnographie luba. Colle, 
sur ce point, est formel22, et nos informateurs confirment son témoignage : 
l'art de la sculpture passait, chez les Baluba, pour une sorte de monopole 
qui ne se transmettait guère qu'au sein d'une même famille. Nous pensions 
pouvoir fonder notre argumentation sur la présence, d'un groupe à l'autre, 
de traits similaires que nous croyions inconscients (donc inimitables) et que 
nous attribuions à un lapsus cultri23. Selon nous, les différences, évidentes, 
observées entre les œuvres « du » Maître, devaient s'expliquer par une 
évolution toute personnelle qui avait fini par se figer, il est vrai, dans la 
production de stéréotypes sans grande inspiration. 
 
Un examen plus attentif des canons proportionnels auxquels 
obéissent les œuvres de Buli, plusieurs retours sur le terrain (1977, 1983-
1990), des témoignages inexploités, nous contraignent aujourd'hui à 
adopter une hypothèse élargie : nous croyons toujours à l'évolution de l'art 
de Buli, mais nous pensons que celle-ci s'est produite sur plusieurs 
générations, vraisemblablement au sein d'une même famille. Notre 
démonstration s'appuiera essentiellement sur les données chronologiques 
que nous livre le recoupement de l'ensemble des sources disponibles. 
 
 
 
Chronologie des œuvres de Buli 
 
 
Une rumeur qui circulait autrefois dans certains milieux coloniaux, 
voulait que quelques-uns, au moins, des sièges de Buli avaient été sculptés 
pour des Européens. Il n'y aurait guère lieu de prêter attention à ces bruits 
si deux témoignages, produits ici pour la première fois, ne venaient leur 
donner une certaine autorité.
Le premier émane des entretiens que nous avons eus avec Mme Vve 
Guébels, à propos d'une miniature en ivoire de « Kabila la mendiante » (la 
Porteuse de coupe de Tervuren), qui se trouvait dans ses collections. Selon 
ce témoignage, Léon Guébels (plus connu sous le nom d'Olivier de 
Bouveignes) s'était intéressé très tôt à ce qu'il appelait le « style Kabila ». Il 
avait failli, disait-il, en connaître l'inventeur lorsque, jeune magistrat, il était 
passé par le village de ce dernier pour y apprendre qu'il était mort 
récemment. C'est en 1913 que L. Guébels rejoignit pour la première fois 
Elisabethville, d'où il fut détaché à Kabinda pour y exercer les fonctions de 
substitut du procureur du roi. Une carte manuscrite, détaillée, datée de 
1916, que nous avons retrouvée dans ses archives, révèle qu'il entreprit à 
l'époque un périple qui de Katompe le mena notamment à Kabalo (à trois 
kilomètres du poste de Buli). L'on peut croire que c'est à l'occasion de ce 
voyage qu'il découvrit l'oeuvre du Maître qui dut l'intriguer et qu'il apprit 
alors que celui-ci était mort « récemment »24. 
 
Le second témoignage est plus troublant encore, car il émane 
d'Hubert Bure25, à qui l'on doit la découverte de la sculpture la plus célèbre 
de Buli, Kabila la mendiante, dont il vient d'être question — qu'il recueillit 
des mains du chef Kanunu, l'un des vassaux du Prince de Buli. Rappelons 
ici que le Liégeois H. Bure avait été chargé par le Comité Spécial du 
Katanga de réaliser une route carrossable entre Tshofa et Buli, ce qui 
l'occupa de 1905 à 1907. C'est à cette dernière date qu'il résida à Buli. Or, 
avant de céder en 1913, sa collection au baron A. de Haulleville, directeur 
de Tervuren, Bure avait offert quelques-uns de ses objets à certains de ses 
amis liégeois, et notamment au Dr Charles Firket26, professeur de 
pathologie tropicale à l'Université de Liège et collectionneur passionné de 
tout ce qui provenait de l'Afrique centrale. Ch. Firket tenait avec soin le 
registre des pièces qu'il accumulait. Il y indiquait notamment, à côté de la 
mention de chaque objet, son origine ethnique et géographique ainsi que 
l'auteur et la date de la récolte. La collection et le catalogue ont été légués à 
l'Université de Liège par les héritiers de Ch. Firket (décédé en 1928). Or, on 
peut lire, p. 29v°-30r° du manuscrit cette mention : (Objet :) « Petit tabouret 
sculpté (2 figurines adossées) ». (Région :) « à Buli (Haut-Lualaba) », (recueilli par :) « 
Mr Hubert Bure. 1907 », avec cette notation inattendue, sous la désignation 
de l'objet : « Fait pour la vente aux blancs » (fig. 4). 
 
 
 
Fig. 4. Catalogue des collections de Charles Firket, extrait des pages 29v° et 30r°, 
Bibliothèque de l'Université de Liège, mss. 2823b. 
La précision est d'autant plus surprenante qu'elle est la seule du 
genre qui apparaisse dans les quelque 300 notices du catalogue. Pourtant la 
collection Firket recèle d'autres pièces « faites pour les Blancs », sur des 
modèles traditionnels, il est vrai27. C'est donc que le « petit tabouret » 
offrait un aspect tellement inhabituel que Ch. Firket crut utile d'ajouter le 
renseignement qu'il tenait évidemment de Bure. 
 
Le « petit tabouret » ne se trouve plus dans les collections de 
l'Université de Liège (ni, hélas, cette « amulette sculptée dans une dent de 
phacochère » également recueillie par Bure à Buli), et même si l'on sait que 
le Maître a laissé des sièges à cariatides adossées, rien ne permet d'affirmer 
que cet objet était de sa création, car il n'est pas douteux que d'autres 
artistes œuvrèrent dans la même chefferie. Mais répétons-le, ce témoignage, 
conjugué à celui de Mme Guébels, interdit de traiter par le dédain seul la 
rumeur évoquée plus haut. 
 
Il faut avouer que si celle-ci pouvait être définitivement confirmée –
soit que le maître ou l’un de ses successeurs ait travaillé pour des amateurs 
européens- plusieurs des questions que pose l'art de Buli trouveraient leur 
solution logique. Ainsi expliquerait-on le nombre, anormalement élevé, de « 
sièges de chef » dans la production du Maître ; et l'on comprendrait 
pourquoi certains d'entre eux ne portent ni signe convaincant d'utilisation 
ni trace de ces enduits rituels qu'exigeait la tradition du culte réservé aux 
sièges sacrés. 
 
Quoiqu'il en soit, il est établi que : 
 
- Buli, en 1907, soit quinze ans après avoir été en contact pour la première 
fois avec des Européens (expédition Delcommune : 1892 (cfr infra)), était 
déjà un centre où des objets d'art étaient confectionnés « pour les Blancs ». 
L'on ne peut s'empêcher de songer ici à une note un peu acide du Dr 
Briart, compagnon de Delcommune, qui, abordant Buli, relève : « Habitants 
très curieux, avides et commerçants »28. 
 
- La disparition du Maître est relativement récente : peu avant 1913 (date 
de l'arrivée de Guébels au Congo), et plus vraisemblablement 1916 (voyage 
à Kabalo). 
 
Néanmoins, l'on ne saurait soutenir que l'art de Buli ait été inspiré 
par les Blancs, ni même marqué de manière significative par leur présence. 
Un faisceau convergent d'arguments prouve au contraire que cet art a été 
élaboré dans un contexte purement traditionnel pour y assumer les 
fonctions que la culture bantoue tout entière assigne à la statuaire magique. 
 
Il suffira ici d'énumérer les principaux de ces arguments :
- Un certain nombre d'objets ont été récoltés par le plus grand des hasards. 
C'est le cas de la Porteuse de coupe, reçue par Miot (1895) en signe de 
reconnaissance, d'un chef qu'il avait sauvé de la servitude, et du petit couple 
d'ancêtres découvert par l'explorateur Foà (1897) lors de son incursion 
mouvementée dans la région (cfr infra). Ces objets, visiblement, étaient 
destinés à des fins cultuelles. 
 
- La même observation vaut, évidemment, pour les sculptures retrouvées 
sur le terrain depuis 1969. A fortiori pour celles qui sont encore in situ. 
L'enquête révèle du reste, que la statuaire de Buli inspire toujours sur place 
une réelle fascination. Il ne faut même pas exclure l’idée que, durant 
longtemps encore, des œuvres, inspirées par le s style de Buli, aient été 
sculptées à des fins purement cultuelles. Le pouvoir sacré de l'art semble 
relever ici autant de sa magie objective que de ses qualités plastiques. C'est 
dire la séduction qu'il dut exercer, dès l'origine, sur le milieu où il a été 
conçu. 
 
- Si certaines sculptures n'ont guère été utilisées, d'autres offrent, au 
contraire, des traces convaincantes d'ancienneté. Ainsi en est-il de la 
Porteuse de coupe de Tervuren, du Siège de Londres et généralement de 
presque tous les objets de teinte noire qui étaient sans doute anciens de 
plusieurs décennies lorsqu'ils furent recueillis. 
 
- Les témoignages explicites, allégués jusqu'ici, tendent à situer la 
production de Buli dans un passé relativement récent. Mais d'autres, tout 
aussi convaincants, inspirent des conclusions entièrement opposées. Ainsi, 
lorsque nous avons enquêté sur le petit ancêtre que nous avons publié en 
1975, la généalogie des propriétaires successifs de cet objet fournie par nos 
informateurs nous incitait à conclure que celui-ci ne pouvait, en aucun cas, 
avoir moins d'un siècle. Etudiant l'effigie de Kalala Luhumbo de Sola, le 
R.P. Neyt obtenait des renseignements du même ordre : l'œuvre avait eu 
douze gardiens qui s'étaient succédés sur quatre générations, soit — selon 
le P. Neyt — un siècle et demi29. 
 
- Le siège à cariatide debout, décrit dans cet article, daterait de la même 
époque et serait même plus ancien, puisque la tradition en fait remonter 
l'histoire aux guerres de Buki. C'est peu après 1800 qu' llunga Buki, fils de 
Kumwimba Ngombe, Xe
 empereur des Baluba, entreprit de se tailler un 
empire personnel dans les territoires du nord, occupés par des clans 
Yambula, Kusu et Zula. Certains membres de la famille de Buli, dont 
l'apanage se trouvait menacé par ces campagnes, mirent leurs armes au 
service du prince impérial, qui en retour, leur conféra le bulohwe (pouvoir 
sacré) sur quelques-uns des postes conquis (sud de Kongolo) et les insignes 
attachés à cette dignité, dont le siège sacré kihona.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Enfin, la présence de la dent de gorille parmi les charmes magiques de la 
tête Kabwelulu décrite plus haut, pourrait offrir un élément de datation 
objectif, quoique malheureusement imprécis. La disparition du gorille du 
nord du Buluba, provoquée sans doute par le lent recul de la forêt, dut 
s'étendre sur plusieurs siècles. Toutefois l'extinction définitive de l'espèce, 
dans la région, serait relativement récente, si l'on en croit les légendes qui 
établissent un lien direct entre celle-ci et l'apparition des Arabes dans ces 
contrées : le singe aurait fui, dit le mythe, pour échapper à la servitude30. Si 
les Arabes commencent à fréquenter la rive ouest du lac Tanganyika vers 
1840, ce n'est que dix ou quinze ans plus tard que leur présence se fit 
réellement sentir aux confins du Buluba. Ces dates constitueraientnt le 
terminus ad quem logique de la tête de notre Kabwelulu. (L’on ne peut, 
cependant, exclure que les dents de gorille aient pu faire l’objet de 
transactions commerciales. Le gorille ‘engùti est toujours présents dans les 
monts Itumbwe du Sud-Kivu ). 
 
 
 
 
 
L'ensemble de ces témoignages, ou indices, tend à démontrer que la 
production de Buli s'est étendue sur un siècle et davantage.Il faut donc 
conclure, comme nous l'avons suggéré, que celle-ci est le fait de plusieurs 
sculpteurs qui se sont succédés de c.1810 à c.1915 sur deux ou trois 
générations, vraisemblablement au sein d'une même famille.Cette thèse est 
la seule qui puisse rendre compte de l'unité évidente de la tradition 
plastique de Buli et de l'existence au sein de celle-ci de plusieurs "sous-styles" illustrés par des groupes de sculptures différents qui semblent bien 
constituer les jalons d'une évolution interne. 
Il serait tentant, dès lors, de chercher sans plus attendre les critères 
autorisant la définition de chacun de ces sous-styles et d'en restituer ainsi la 
généalogie. Mais une telle tentative suppose l'étude préalable, que l'on 
devine longue et complexe, de toutes les œuvres relevant de la tradition 
plastique de Buli. De surcroît, elle ne serait réellement convaincante que si 
elle se trouvait fondée sur un principe taxonomique plus global, inspiré par 
une compréhension en profondeur de l'œuvre, qui en éclairerait la genèse et 
l'évolution. 
 
C'est à la recherche de ce principe que seront consacrées les pages 
qui suivent. 
 
 
 
Histoire politique de la principauté de Buli 
 
 
Les questions, complexes en soi, liées à l'étiologie de tout style, se 
livrent dans le cas de Buli comme une véritable énigme. Cet art semble en 
effet dicté par la volonté consciente de renouveler la tradition plastique
(celle des Baluba-kunda) dont il tire visiblement son inspiration originelle 
— voire de s'en écarter. Or, s'il est vrai que l'artiste noir disposait d'une 
certaine liberté, il se devait de respecter les paradigmes imposés par la 
Tradition, dont l'ensemble était perçu par la communauté comme un 
véritable langage, et au-delà, comme l'un des fondements de sa propre 
identité. L'isomorphie entre les paradigmes légués par le passé et les 
créations nouvelles conférait à celles-ci leur légitimité et leur efficacité. C'est 
dire que les métamorphoses de Buli ne sauraient résulter de la volonté seule 
d'un créateur isolé : elle répondent à une attente collective, consciente ou 
non. 
 
La genèse du style de Buli appartient donc à l'histoire d'une 
collectivité. Cette conclusion s'imposera avec plus d'évidence encore si l'on 
se souvient que chez les Baluba, les sculpteurs professionnels (basonga, 
batombe), et spécialement ceux qui travaillaient pour la Cour, se trouvaient 
directement associés au Pouvoir. La statuaire rituelle, dans ses multiples 
fonctions (assurer la présence des Esprits et des Ancêtres, contrôler les 
sources de la vie et de la mort, fournir au Pouvoir — celui qu'exerçait le 
Prince mais aussi les Sociétés initiatiques — les instruments magiques de la 
légitimité et de sa survie, etc.), ne pouvait qu'être initiée aux mystères qui 
présidaient à la vie culturelle, socio-politique et religieuse de l'Etat. C'est 
pourquoi les sculpteurs faisaient partie de jure du conseil privé du Prince. 
Or, et l'on n'a pas suffisamment souligné le fait, la plupart des productions 
de Buli ont un caractère politico-religieux nettement marqué. Sièges, 
porteuses de coupe, effigies d'ancêtres, etc. sont clairement destinés à la vie 
rituelle de la Cour. L'on reviendra sur ce point. 
 
C'est pour avoir trop peu prêté attention à ces faits, pour avoir 
ignoré également que Buli n'était pas un simple village mais un véritable 
Etat, que les — rares — historiens qui se sont interrogés sur les 
circonstances de la naissance de l'art de Buli n'ont pu émettre sur ce point 
que des considérations bien frêles31. 
 
 
 
 
Fig. 5. Position géographique de la Seigneurie de Buli. Extrait de A.-J. WAUTERS, 
Carte de L'Urua au 2.000.000e., dans Mouvement géographique, 21 mars 1897. 
 
 
La Basse-Lukuga, avant de se déverser dans le Lualaba où elle draîne 
d'immenses champs de papyrus, traverse une vaste plaine, légèrement
vallonnée, bornée sur le flanc est par les contreforts montagneux couverts 
de forêts, et au sud par les Monts Suya (fig. 5). Ce sont ces terres 
qu'envahissent vers 1750, sous la conduite de Mbuli Mukulu, des 
populations d'origine kunda (du vaste clan des Kamania) apparentées aux 
actuels Babuyu du Maniema. Mbuli Mukulu y fonde un royaume dont le 
socle est constitué par le territoire, en forme de triangle aigu, que délimitent 
les deux fleuves à leur confluent. De là, Mbuli envoya ses guerriers 
conquérir quelques avant-postes, au nord, dans la région de Kansimba 
(Kongolo), et à l'ouest, dans les petites chefferies sises au-delà du Lualaba. 
Pour renforcer la légitimité de son appropriation, il créera ou favorisera, 
comme on le verra, la restructuration de sectes secrètes qui lui assureront la 
protection des Morts et des Esprits de la contrée, toujours redoutables. Son 
fils et successeur, Mbuli Kisala, étend les limites de la chefferie au sud, en 
s'emparant de quelques villages du chef Kasinga.Celui-ci était allié à la 
famille de Tumbwe, suzerain d'importantes chefferies entre le Lualaba et la 
rive ouest du Tanganyika, qui réclamait l'hégémonie sur l'est du Buluba tout 
entier, se prévalant de son ascendance avec Kongolo, fondateur du Ier
 
empire luba. Cette famille était alors divisée par des guerres intestines. Mais 
Sohola, l'héritier du titre, devait parvenir à y rétablir la paix. De surcroît, il 
allait bientôt faire acte d'allégeance envers llunga Sungu, IXe
 successeur de 
Mbidyi Kiluwe,, le créateur du second empire luba. Il reçut d'Ilunga Sungu 
le bulohwe (pouvoir sacré), ce qui assurait définitivement son pouvoir et 
donnait à ses prétentions annexionnistes une assise juridique d'autant plus 
forte que l'empereur lui avait confié l'administration du Buluba, à l'est du 
Lualaba. Sohola en profita aussitôt pour s'emparer de quelques sous-chefferies des Bangoy, alliés directs de Mbuli.Pour écarter la menace que 
visiblement, les Tumbwe faisaient peser sur ses terres, Mbuli Songa, IVe
 roi 
de Buli, demanda à son tour la protection de l'empereur Kumwimba 
Ngombe, successeur d'Ilunga Sungu. Il reçut de celui-ci les insignes 
traditionnels des balohwe : la courge mboko remplie d'argile blanche, le 
briquet traditionnel luvyo, donnant le feu sacré des esprits, enfin le droit de 
posséder légitimement le trône kihona. Il faut préciser ici que le bulohwe 
désigne le pouvoir ou l'autorité — mystique et politique — attaché au sang 
sacré de Mbidyi Kiluwe. Seuls les descendants (par la voie des femmes) de 
celui-ci détiennent authentiquement le bulohwe. Mais une fiction juridique 
leur permet de transmettre une part de leur pouvoir à des chefs 
n'appartenant pas à la lignée impériale. Ces chefs entraient ainsi fictivement 
dans leur famille : ils étaient assurés de la protection des esprits Vidye qui 
veillaient à la défense et à l'intégrité du bulohwe. L'on conçoit que ces 
chefs « fictifs » aient stimulé la production de signes ou d'emblèmes 
affichant les liens « réels » qui les unissaient à la branche des balohwe 
authentiques. Ces signes garantissaient leur nouvelle identité et légalisaient 
ainsi leur pouvoir. L'on peut penser que c'est de cette époque que date le 
développement intensif, à Buli, d'un art aulique spécifique, dont l'esthétique 
dut être logiquement inspirée par le souci d'allier les traditions plastiques
(kunda) de la chefferie à celles des nouveaux suzerains. 
 
L'acte d'allégeance qu'impliquait l'investiture du bulohwe 
commandait sans aucun doute l'abandon, pour le roi de Buli, de sa 
souveraineté. Mais les liens qui unissaient l'empereur aux chefs investis 
étaient moins de vassalité que d'amitié, et les milamba (dons, présents) que 
versaient ces derniers étaient reçus plutôt comme marques de fidélité que 
comme véritable tribut. En revanche, l'investiture garantissait aux seigneurs 
de Buli une indépendance réelle dans leur politique extérieure et un surcroît 
de prestige auprès de leurs sujets. Grâce aux alliances passées entre le 
conquérant Buki (cfr supra) et certains membres de sa famille, Mbuli étendit 
encore son emprise sur le nord. Dès cette époque, la chefferie vécut autant 
dans la mouvance du « royaume » de Buki que dans celle de l'empire luba 
proprement dit. 
Peu de temps après, la chefferie de Kanunu entra, grâce au jeu des 
successions matrilinéaires, dans l'apanage de Mbuli. 
 
La chefferie connut alors, pendant près de trois quarts de siècle, une 
exceptionnelle prospérité. La richesse des terres, de nature alluvionnaire, 
favorise l'expansion de l'agriculture. Le gibier (buffles et éléphants) est 
abondant. Mbuli enverra bientôt vendre son ivoire sur la côte ouest du 
Tanganyika, à six jours de marche de ses frontières. Le développement 
économique se double d'une croissance démographique considérable. 
Outre les facteurs internes, la richesse du Buli constitue un pôle d'attraction 
: des villages entiers viennent s'installer dans le territoire. De nombreux 
chefs y cherchent refuge : certains d'entre eux sont parmi les victimes de 
Buki. Plus tard, avec les Arabes et le démantèlement de nombreuses 
chefferies du nord, le mouvement s'accélèrera. Car Buli est une véritable 
forteresse : protégée par les deux fleuves, les contreforts forestiers du nord-est, et surtout au nord, le verrou des « portes de l'enfer » (cataractes 
infranchissables sur le Lualaba, en aval de Kongolo), la seigneurerie restera 
constamment à l'abri de toute incursion, même lorsque les Arabes auront 
investi la région du Lomani d'où ils menaceront le Buluba tout entier. Seul, 
peu après 1880, l'arabisé Kabamba tentera de franchir les frontières de Buli 
: il dut rapidement battre en retraite, abandonnant ses armes sur le terrain. 
 
La politique des princes de Buli envers les étrangers qui leur 
demandent asile est très ouverte : leur pouvoir est lié, notamment, au 
nombre de sujets qui leur paient tribut et les populations nouvelles 
viennent grossir les réserves de l'armée. 
 
Ces circonstances expliquent sans doute (outre la « demande » 
ultérieure des Européens) le nombre exceptionnellement élevé de sièges 
auliques qui furent découverts plus tard à Buli. Certains de ces sièges 
étaient sans doute réservés aux lieutenants du prince, pour la plupart
membres de sa famille, installés aux postes-clefs des frontières de l'Etat : 
Bola et Kasyala à l'est, Ngolo au nord, Ngoya à l'ouest, etc. D'autres durent 
être sculptés pour ces chefs étrangers, venus se placer sous la protection de 
Mbuli. Le don du kihona (qui demeurait, en dernier ressort, propriété du 
prince) matérialisait un contrat d'assistance et de fidélité réciproques. 
 
Les Arabes tenus à l'écart, une autre menace allait bientôt peser sur 
l'indépendance de Buli. L'empire Yeke de M'siri ne cessait de s'accroître, 
gagnant progressivement le nord du Buluba. Vers 1885, Simbi (ou Simba), 
l'un des fils de M'siri, est solidement implanté avec ses guerriers à 
Ankoro32. Il réside régulièrement à Kabalo, l'un des villages de Buli. L'on 
peut penser que Kilela, VIIIe prince de Buli, suivant la stratégie de ses 
ancêtres, avait passé avec le chef yeke un traité d'alliance qui garantissait 
son indépendance. 
 
Le 7 novembre 1892, A. Delcommune, accompagné de N. 
Diderrich, P. Briart, etc., à la tête d'une expédition commanditée par la 
Compagnie du Katanga, pénètre à Bola, avant-poste est de Buli sur la 
rivière Luizi. Ils se montrent stupéfaits de la richesse du pays, l'importance 
et le nombre de ses villages. « C'est, note Briart, le pays le plus peuplé que 
nous ayons rencontré dans notre voyage »33. De Bola au village de Buli, 
alors implanté sur la rive gauche de la Lukuga, Delcommune compte dix 
agglomérations, et au-delà, jusqu'au Lualaba, une trentaine d'autres34. Briart 
note que le village de Buli compte, à lui seul, au moins 2.500 habitants. 
 
Les rapports entre Mbuli Kilela et Delcommune furent fort tendus : 
Mbuli refuse de se montrer, produit un sosie déguisé en Arabe, etc. Ce n'est 
qu'après avoir menacé le prince de mettre le feu à ses villages que 
Delcommune put hisser sur ceux-ci le drapeau bleu à étoile d'or de l'Etat 
Indépendant. Mbuli avait évidemment compris qu'il ne s'agissait plus, cette 
fois, d'alliance mais d'aliénation. 
 
Dix-huit mois plus tard, l'expédition de S.-L. Hinde, accompagnée 
de l'Américain Mohun, chargée par Dhanis de remonter le Lualaba et la 
Lukuga, pénétrera à son tour dans les terres de Buli. Hinde relève 
l'exceptionnelle beauté des objets (cannes, etc.) sculptés, en bois et en 
ivoire, qu'il observe entre les mains des habitants du lieu35. Selon l'historien 
Cornet, Hinde serait ainsi l’ « inventeur » de l'art de Buli36. Par ailleurs, 
Hinde et Mohun, tout comme Delcommune, sont frappés par la densité 
extraordinaire de la population37. Mbuli régnait sans doute sur plus de 80 
villages (en 1914, l'empereur des Baluba, Kabongo, ne contrôlait que 130 
villages38), et l'on peut estimer à plus de 60.000 le nombre de ses sujets. 
 
En juillet 1897, le Français Ed. Foà, cherchant à forcer un nouveau 
passage entre le Tanganyika et le Lualaba, s'avancera profondément dans le 
Buluba sur la Haute Luizi, à quelque 125 km de Buli, avant de se voir forcé
à la retraite. Il en rapportera deux petites figurines, dues à la main de l'un 
des Maîtres qui nous occupent39. Foà trouve la région dans l'anarchie la 
plus complète : les chefs sont en guerre les uns contre les autres, les 
champs sont ravagés, les villages brûlés40. La chute de l'empire arabe du 
Maniema et du Lomani au nord et à l'ouest, celle des Bayeke au sud, 
suscitent de multiples combats pour la reconquête du pouvoir au sein des 
anciennes chefferies. Les troubles gagnent les régions pourtant préservées 
de la présence arabe. La révolte des « Batetela » provoque des déplacements 
de populations. Une autre cause non moins grave de troubles réside dans 
une épidémie de variole qui sévit bientôt dans toute la vallée de la Luizi et 
de la Lukuga. Les devins imputent la cause de la maladie aux Ancêtres, 
jaloux de la présence des Blancs. Les sacrifices humains se multiplient. 
Cette épidémie, bientôt suivie d'une vague de trypanosiomase décime, en 
moins de dix ans, les quatre cinquièmes de la population41. Le travail forcé 
achèvera enfin de vider les chefferies du nord de la part active de leurs 
habitants42. Voilà qui explique sans doute le nombre d'objets qui durent 
alors se trouver sans propriétaire — et notamment de sièges tragiquement 
vacants — et qui furent alors offerts ou vendus aux Blancs. 
 
En 1900, le Comité Spécial du Katanga charge le Lt Paternoster de 
créer une station à Ngoma, au confluent du Lualaba et de la Lukuga. Elle 
reçoit le nom de « Buli ». C'est là que Malfeyt concentrera ses troupes en 
vue de mater les derniers « Batetela », réfugiés à Kikondja. En 1907, le 
poste de Buli sera déplacé d'une vingtaine de kilomètres vers le sud (fig. 6), 
pour servir de point d'arrivée à la route carrossable, venant de Tshofa, 
construite par Bure. Buli est alors définitivement ouvert à la colonisation43. 
 
 
 
Fig. 6. Deux des emplacements de Buli, poste d'Etat (1912). 
 
 
L'exposé qui précède révèle assez la singularité du destin de la 
seigneurie de Buli. A une époque où l'empire luba, déchiré par des guerres 
intestines, entre dans un irréversible déclin, accéléré encore par les 
conquêtes de M'siri au sud et la main-mise arabe sur le nord et bientôt le 
cœur de l'empire, ce petit royaume connaît une période ininterrompue de 
prospérité économique et démographique. Celle-ci est due à la position 
géographique privilégiée du pays, qui en fait une forteresse naturelle, et à la 
richesse de ses sols, mais aussi à la politique extérieure de ses chefs, qui 
surent constamment préserver leur indépendance grâce à un jeu d'alliances 
qui ne pouvaient que décourager les visées expansionnistes des chefs
voisins. L'inféodation des seigneurs de Buli à l'empire luba n'était que 
nominale : l'investiture au bulohwe renforçait en réalité leur indépendance 
et leur autorité. En entrant dans la famille impériale, ils conquéraient 
définitivement les titres légitimant leur pouvoir sur les terres dont ils 
s'étaient emparés. Cette volonté d'indépendance, ce souci de légitimité 
réclamés cette fois non des empereurs vivants mais des Ancêtres, inspirent 
également l'histoire religieuse de la chefferie. 
 
 
 
Histoire religieuse de Buli 
 
 
Durant toute la période coloniale, missionnaires et agents de l'Etat 
n'ont cessé de signaler le nombre, l'importance et la force de résistance des 
« sectes de sorciers » dans le nord du Buluba, et spécialement dans la région 
de Kabalo-Kongolo— le cœur de l'ancienne chefferie de Buli. Or, les traditions actuelles, confirmées sur de nombreux points par les 
témoignages anciens (celui du P. Colle, en particulier),imputent la création 
des plus importantes de ces sociétés initiatiques aux princes de Buli eux-mêmes. 
 
 
Mbuli Ier « le vieux » doit toujours sa renommée autant à ses 
fonctions sacrées qu'à ses titres de conquérant et de chef politique. On lui 
attribue ainsi la création de la société des Bambuli, danseurs thérapeuthes 
et nécromanciens qui, avant d'être récupérés par le folklore colonial, 
exerçaient des fonctions de contrôle sur les « revenants », tout en 
s'affirmant comme les dépositaires de la pureté des mœurs ancestrales. 
Cette tradition n'est sans doute fondée que sur une homonymie, car l'on 
possède de nombreuses autres versions de l'origine de cette société — 
toujours très active44. Signalons toutefois qu'un rapport inédit daté de 1915, 
mentionne qu'à Kabongo, les Bambuli honoraient Mbuli comme l'un de 
leurs principaux génies45. 
 
C'est également à Mbuli Ier qu'il faudrait imputer l'institution de la 
société des Bilumbu. Colle confirme explicitement la tradition locale46. Les 
bilumbu, rappelons-le, exercent chez les Baluba d'importantes fonctions 
de devins et de guérisseurs. Initiés aux mystères d'un esprit particulier 
(notamment Kabwelulu), ils reçoivent de celui-ci le pouvoir d’identifier les 
auteurs de sortilèges et de maléfices et d'indiquer les thérapies appropriées, 
au besoin les voies de la vengeance. 
 
Les bilumbu, ou leurs homologues, sont connus dans tout le 
Buluba, voire le Zaïre et au-delà. Le plus souvent du reste, ils opèrent seuls. 
La tradition a donc un caractère nettement légendaire. Mais elle recouvre 
peut-être un fait réel, soit qu'un des princes de Buli ait effectivement
entrepris de structurer les bilumbu en association fermée afin d'en 
contrôler les activités et s'affirmer ainsi comme le maître des Devins 
officiels. 
 
C'est toujours à l'un des chefs de Buli, probablement Mbuli IV 
Songa, que l'on devrait la création de deux autres sociétés initiatiques luba : 
la buyangwe et le kabwala, auxquelles Colle consacre de longues pages. 
Les dignitaires du kabwala passent pour de redoutables sorciers tandis que 
les simples adeptes semblent ne rechercher dans l'initiation qu'un surcroît 
de chance, une protection accrue contre les morts et les esprits. Les 
bayangwe sont eux, de véritables chamans. Ils détiennent entre autres, le 
pouvoir de se rendre invisibles, de se dédoubler, de voler dans les airs, de se 
métamorphoser en lion, léopard, etc. Ils doivent ces facultés aux morts 
avec lesquels ils sont en contact permanent. 
 
Selon Colle, une autre société détenant de redoutables secrets, celle 
du bulungu, aurait traditionnellement pour chef le prince de Buli47. 
 
L'une des séquences les plus intéressantes recueillies par le même 
auteur, de la bouche des descendants de Mbuli Ier, situe la source des 
sociétés du bulumbu, du buyangwe et du kabwala, dans l'empire des 
Morts. En effet, un certain Kazula (« le novateur »), chassant le phacochère 
dans les monts Suya (au-delà de la frontière sud-ouest de Buli), après avoir 
vu le sol se dérober sous ses pieds, s'était retrouvé dans une vaste caverne 
où il avait assisté, fasciné, aux danses étranges des Morts. Rassuré, après 
avoir reconnu parmi ceux-ci ses propres ancêtres, il avait demandé à être 
initié aux mystères de ces chorégraphies et à d'autres secrets. Revenu sur 
terre, Kazula s'empressa de mettre dans la confidence de ces événements le 
chef Mbuli, qui n'eut de cesse d'être initié à son tour aux mêmes arcanes — 
ce qui lui fut bientôt donné lors d'un séjour dans le royaume obscur. Mbuli 
reçut même du « roi des Morts » le droit d'initier à son tour ses propres 
sujets aux rites du bulumbu, du buyangwe et du kabwala. 
 
Ce mythe, diffusé à la cour de Buli, tend à faire des souverains du 
lieu les seuls dépositaires légitimes des traditions sacrées de la région — 
voire du nord tout entier du Buluba, car l'on sait que les sociétés dirigées 
par eux recrutaient leurs adeptes bien au-delà des frontières strictes de Buli. 
Les chefs de Buli, légataires des pouvoirs des Morts (ultimes propriétaires 
du sol, référence sacrée des institutions culturelles), s'affirmaient ainsi 
comme les détenteurs souverains de l'identité culturelle luba elle-même. La 
légende dut être diffusée avec d'autant plus d'insistance qu'elle cautionnait 
l'autorité de chefs dont il importe de rappeler qu'ils étaient d'origine 
étrangère (kunda/buyu). Le mythe aurait ainsi la même fonction légitimante 
que l'acte d'allégeance rendu par Mbuli Songa à l'empereur luba, qui l’élevait 
à la dignité de mulohwe. Voilà qui fournit sans doute l'explication des 
phénomènes religieux qui se sont développés à Buli, et notamment du nombre exceptionnellement élevé de sociétés initiatiques qui y trouvèrent 
leur origine (même en faisant la part de la 
légende) : cinq des neufs sociétés 
repérées au début du siècle dans le nord du Buluba. 
 
Un tel foisonnement pourrait certes s'expliquer par l'origine très 
diverse des populations qui, durant le XIXe
 siècle, cherchèrent refuge dans 
la chefferie, en y apportant leurs institutions, leurs croyances et sans doute 
leurs confréries propres. Le souci de contrôler celles-ci dut inciter les 
suzerains de Buli à vouloir s'imposer chaque fois à leur tête. Toutefois, 
dans la plupart des cas, rapporte la tradition, la famille dynastique de Buli 
ne s'est pas bornée à affirmer son autorité sur des sociétés existantes : elle 
en a promu de nouvelles, comme si elle n'avait eu de cesse de multiplier les 
sources de son pouvoir, les cautions de sa légitimité. 
 
A. Sohier, dans son Traité du droit coutumier congolais, estime que 
lorsqu'un chef investi entend accroître son pouvoir en le cumulant à 
l'autorité que confèrent les dignités et le prestige religieux et/ou sorcellaire, 
c'est qu'il cherche à échapper à une menace émanant soit de l'étranger soit 
de ses propres sujets. Cette analyse semble pouvoir être appliquée à Buli, 
menacé au sud par les vassaux de Tumbwe, et bientôt par Buki au nord ; 
lieu de refuge par ailleurs pour des populations qui, par le seul fait d'être 
étrangères, pouvaient constituer une menace pour le pouvoir en place. Les 
titres, héréditaires, de « maître » du bulungu, du buyangwe et d'autres 
sociétés qui détenaient les moyens d'exercer une véritable terreur, devaient 
constituer un motif de crainte suffisant, à lui seul, pour écarter les menaces 
de sédition et même les tentations d'annexion.
La volonté d'indépendance qui inspire la politique de Buli et qui 
trouve son corollaire dans le développement d'une idéologie nationaliste, 
fondée notamment sur l'exploitation du culte des morts, dut se voir 
renforcée par l'orgueil que durent éprouver les seigneurs de Buli devant le 
contraste qu'offrait la prospérité économique et démographique de leur 
Etat et le déclin des chefferies voisines, voire de l'empire luba tout entier. 
 
Quoi qu'il en soit, il semble clair que l'idéologie nationaliste de la 
Cour, commandée par la nécessité d'afficher une identité culturelle 
spécifique, n'a pu qu'imprimer intimement son sceau sur un art dont tout 
indique qu'il était étroitement lié au destin de la famille dynastique.
Idéologie aulique et esthétique de Buli 
 
 
De forts indices laissent penser, on l'a vu, que les sculpteurs de Buli 
ont travaillé à la Cour de leurs maîtres. L'on a déjà souligné que la quasi-totalité des œuvres que nous leur devons entrait dans la catégorie des insignes ou des parasèmes du pouvoir. C'est le cas des trônes bihona, 
emblèmes — et agents — de l'autorité politique et judiciaire — nous y 
reviendrons. Le cas des effigies mortuaires mikisi : celles-ci étaient 
invoquées par le chef dans toutes les circonstances importantes, publiques 
ou privées, de sa vie. Conservées significativement dans une case proche de 
celle où il siégeait publiquement, elles inspiraient, notamment, ses décisions 
politiques. Quant aux porteuses de coupe bamboko ou maloba mpesi 
(nous en connaissons trois, dues aux sculpteurs de Buli), parmi les 
fonctions qu'elles assument, la plus importante, la plus lourdement grevée 
de valeur politique et sociale, les rattache au rituel d'investiture au 
bulohwe. Insigne légal de l'ascendance sacrée des chefs, contenant le 
kaolin offert par l'empereur lui-même48, elle « assurait au chef, comme le dit 
le P. Avermaet, la fidélité de ses femmes, le loyalisme de ses sujets, le 
succès à la chasse », et « devait le prémunir contre tout danger, toute 
maladie et lui donner la victoire sur ses ennemis... »49. 
 
La Porteuse de coupe de Tervuren aurait une fonction plus précise 
encore si l'on se réfère au témoignage du chef Kanunu, son dernier 
propriétaire légitime. Selon celui-ci, la Porteuse servait « à obtenir beaucoup 
de malafu »
50, soit du vin de palme ou de la bière de sorgho. Or, le malafu 
(ou malu'u) entrait dans la classe des produits dont une partie était due, 
comme tribut, aux chefs. Il était conservé dans des jarres déposées dans 
une case construite auprès de celle qui était réservée aux effigies des 
ancêtres royaux. A ces dernières était offerte une portion du malafu, versé 
dans le mboko qui veillait la nuit à leur côté51. Lors de ce rituel, l'on 
demandait aux Ancêtres d'assurer la sauvegarde de la chefferie, de veiller 
sur le prince, d'étendre son empire et le nombre de ses sujets. « Obtenir 
beaucoup de malafu » est donc une manière imagée de désigner la fonction 
fécondante, celle d'« incitant démographique » de la coupe — l'importance 
du tribut étant proportionnelle à celle de la population. 
 
Enfin, même la petite tête du Kabwelulu pourrait renvoyer aux 
fonctions sacrées des princes de Buli, chefs héréditaires des devins 
bilumbu. 
 
Tous ces faits confirment, s'il en était besoin, que les Maîtres de Buli 
appartenaient à la classe de ces sculpteurs magiciens bwana batombe, 
dont le métier seul réclamait une initiation aux mystères de la vie religieuse 
et politique de l'Etat et qui, de ce fait, faisaient partie de droit du conseil 
privé du Prince. L'on peut légitimement penser que leur art, et l'esthétique 
qui l'inspire, ne pouvaient demeurer étrangers à l'idéologie dominante de la 
Cour. 
 
Les tendances expressionnistes accentuées par le dynamisme « 
baroque » qui caractérise le sous-style de Buli, témoignent de la volonté de
rapprocher les motifs plastiques traditionnels (ancêtres, esprits) de 
l'apparence sensible du modèle vivant, soit le corps humain correspondant 
à l'idéal esthétique imposé par la culture kunda et luba. 
 
Cet idéal, dont les critères demeurent partiellement inconscients, 
nous le connaissons par les traits que dégage l'observation des pièces 
classiques kunda (certains sous-groupes buyu, zoba, sanze, bware, etc.) et 
luba du nord, et par les données de terrain. Front dégagé et bombé, yeux 
écartés, légèrement exorbités, nez effilé, bouche proéminente, sont des 
constantes régulièrement citées. Pour le corps de la femme, les seins 
tombants, tronconiques, la taille cambrée, la proéminence du ventre, les 
cuisses puissantes, sans compter des traits culturels tels les tatouages, 
l'épilation du pubis, l'élongation des labiae, etc. En fait, le corps est un 
véritable champ de signes dont nul n'est indifférent : le front et les yeux 
marquent la force de l'intelligence et du verbe, la bouche est apotropaïque. 
L'esthétique du corps féminin relève d'une idéologie de la fécondité. 
 
Or, le paradigme du corps qui s'impose naturellement est celui de 
l'Ancêtre et de ses descendants naturels : La famille régnante. L'on peut 
donc énoncer comme une règle générale que, dans tous les Etats centralisés 
de l'Afrique noire, l'idéal esthétique collectif tendait à se constituer par 
référence à l'aspect extérieur, aux traits somatiques et physionomiques de la 
famille dynastique. Parmi de multiples exemples, signalons l'ancien 
royaume kongo de San Salvador52, les Bakuba où les membres des familles 
dynastiques bushong’ 53 incarnaient l'idéal de la beauté, tout comme les rois 
éthiopiens ou encore, au Rwanda, la famille régnante des Banyiginya (où la 
beauté est la figure royale). Il n'est pas douteux que le réalisme des arts 
kongo, kuba (l'on pourrait évoquer aussi également Ifé et le Bénin) 
s'explique par la volonté, politique et magique, de préserver par-delà la 
mort, l'apparence physique, sacrée, des princes. 
 
Il en allait de même chez les Baluba, dont les balohwe réclamaient 
leur ascendance de Dieu. L'on relèvera ici que certains de nos informateurs 
ont reconnu plusieurs sculptures de Buli comme les représentations mêmes 
des princes du lieu — singulièrement Mbuli Mukulu. A cet égard, la 
ressemblance sensible qu'offrent certaines figures de Buli et les traits de l'un 
de nos informateurs, le citoyen Kimbalanga, descendant d'une famille 
apparentée à celle des anciens chefs de Buli, ne laisse pas de troubler (voir 
fig. 7). 

Fig. 7. Le citoyen Kimbalanga, descendant 
des anciens chefs de Buli, tenant en main une statuette 
qui représente vraisemblablement l'un de ses ancêtres. 
Archives de l'auteur. 
 
 
Il est hors de doute, par ailleurs, que les motifs plastiques majeurs de 
l'art traditionnel ne pouvaient que favoriser le processus d'une certaine 
identification entre l'apparence du Prince et la figure paradigmatique de 
l'Ancêtre. Telle est l'une des fonctions, dérivée mais importante, des effigies 
servant de cariatides aux sièges auliques bihona. 
 
Les fonctions de ces sièges se conjuguent sur un axe double : 
chronologique, où ils matérialisent les liens qui unissent les ancêtres au 
prince ; synchroniques, où ils contribuent à renforcer le réseau des rapports 
unissant ce dernier à ses vassaux et à ses sujets. 
 
Dans sa dimension verticale ou diachronique, le trône est perçu 
comme une parcelle de l'univers chtonien, celui des esprits et des morts. Il 
affirme la réalité de l'ascendance sacrée du prince, les liens qui l'unissent 
aux ancêtres fondateurs du clan — détenteurs ultimes de la terre : ceci 
explique, notamment, pourquoi il était enduit des graisses des animaux « 
tabous » de la chefferie (à Buli, léopard et crocodile). Grâce au kihona, le 
pouvoir politique et judiciaire réinvestit l'ordre du sacré. 
 
La cariatide qui soutient le plateau des bihona figure Kamania, 
l'ancêtre mythique des Bakunda — souche de la population de Buli54. 
Représentée en état de gestation, elle assure la protection du chef de la 
même manière qu'une mère protège l'enfant qu'elle porte en elle. Le plateau 
lui-même, chargé d'ingrédients magiques, est d'ailleurs assimilé à un ventre 
(difu), et le tenon cylindrique qui le relie à la tête de la cariatide, au cordon 
ombilical msuku55. Inversement, une femme appelée à assurer la 
descendance de la lignée princière portera le surnom de « siège » kihona. 
L'identification du siège à la mère originelle était telle que l'on pouvait lire 
sur son « ventre » le destin du prince : le devin y versait de l'huile et du 
kaolin et les figures que prenaient ces ingrédients fondaient la sémiologie 
des aruspices56. 
 
Dans la texture synchronique de ses fonctions, les rapports du 
prince à ses sujets, le siège est perçu tout d'abord pour le « double » de la 
personne dynastique. Il reçoit donc une épouse, préposée à sa garde et à ses
soins. Le fait de toucher le siège passe pour un crime d'insubordination qui 
est sévèrement puni. Au contraire, les serments scellés la main sur celui-ci 
revêtent une exceptionnelle gravité. Les sièges des vassaux du prince sont 
donnés pour les copies du kihona de ce dernier. Ils assurent sa présence 
dans tout le royaume, spécialement aux endroits stratégiques, tels les 
villages implantés aux frontières. Lorsque ces vassaux siègent 
officiellement, ils sont censés n'exercer le pouvoir qu'au nom du prince. 
Ainsi le trône contribue-t-il puissamment à assurer le maintien du pouvoir 
entre les mains de la seule famille régnante, détentrice du bulohwe. 
 
Le kihona, en combinant la double constellation de symboles et de 
fonctions qui unissent les morts aux vivants, associe également dans la 
même figure le prince et l'ancêtre mythique, et commande l'identité de leur 
apparence sensible. 
 
Le destin de l'art aulique de Buli fut donc, selon toute vraisemblance, 
de se soumettre à l'idéal d'un réalisme de plus en plus exigeant, tendant à 
renforcer cette identification. L'hypothèse pourrait livrer ce critère 
taxonomique global qui devrait seul inspirer, pensons-nous, l'étude de 
l'évolution générale du style de Buli. 
 
Dicté par la volonté d'accentuer l'omniprésence du prince sur ses 
états et de donner à la magie de son apparence, identifiée au paradigme 
imaginaire de l'ancêtre fondateur, toute sa prégnance, l'art contribuait ainsi 
de plus en plus étroitement à imposer un modèle esthétique qui devait 
servir une sémiologie plus générale répondant à l'idéologie nationaliste de la 
cour, marquée par la volonté de réaffirmer sans cesse sa légitimité et son 
identité et d'imprimer son sceau sur l'ordre culturel tout entier. 
 
Il resterait donc à montrer, dans une étude morphologique et 
stylistique approfondie, comment la mystique de l'apparence royale, celle de 
la beauté de la mère mythique de la dynastie s'est traduite, à travers la 
généalogie de deux ou plus vraisemblablement trois sculpteurs, dans des 
effigies de plus en plus réalistes. Comment un art, commandé à l'origine par 
les canons de la statuaire kunda et luba, dont l'idéal esthétique résidait dans 
la quête permanente de l'essence, s'est rapproché du sensible pour se 
soumettre à des impératifs politiques et magiques, sans sombrer toutefois 
dans l'accessoire, même lorsqu'il tend vers un certain formalisme, et 
comment il a su traduire, dans son austère sérénité, l'une des questions les 
plus fondamentales de l'homme universel : celle qui regarde l'invisible et la 
mort. 
 
 
NOTES 
 
Cet article, écrit en 1990, ne tient évidemment pas compte des objets attribués à Buli et découverts ultérieurement. Relevons que de nombreuses données historiques recueillies sur 
le terrain se trouvent confirmées par les archives AIMO, relatives à Buli, conservées aux 
Ministère des Affaires Etrangères de Belgique – consultées depuis. 
 
1. Anvers, 24 déc. 1937 au 16 janv. 1938. 
2. Tentoonstelling van Kongo-Kunst... Catalogus. Antwerpsche Propagandendaweken, nos
 
716 et 717 (voir pl. 14 & 15). L'un de ces sièges — ancienne coll. Bertrand — est 
aujourd'hui à Tervuren. (Bonne reproduction dans E. LEUZINGER, Kunst der 
Naturvôlker, Frankfort/a/Main, 1978, band III, pl. 123). 
3. Pour une bonne reproduction de cette œuvre célèbre : (A. MAESEN), Umbangu. 
Art du Congo au Musée Royal de l'Afrique Centrale, 2e éd., (Bxl, 1969), pl. 35. 
4. L'Univers des formes. Afrique Noire, Paris, 1967, p. 336. 
5. Sumorn imposé principalement par J. MAES qui avait cru pouvoir identifier cette 
sculpture à l'Esprit Kabila, présidant à certains rituels privés de mendicité, décrits par 
le P. COLLE (J. MAES, Figurines mendiantes des Baluba, dans Pro Medico, 1935, 3 et 
Figurines mendiantes dites « Kabila » des Baluba, dans Brousse, 1939, 2). Pour COLLE : Les 
Baluba (Congo Belge), Bruxelles, 1913, t. Il, p. 441. 
6. Miroir du Congo belge, Bruxelles-Paris, 1929, t. II, p. 218, 235 et 236. 
7. Les sculptures de l'Afrique Noire, Paris, 1956, p. 110. 
8. Dans Plastiek van Kongo, 1946 (traduit en français par A. MAESEN, Bruxelles, 
1959) et Découverte de deux statuettes d'un grand sous-style Ba-Luba, dans Institut Royal 
Colonial Belge. Bull, des séances, XXII, 1, 1951, p. 130-140. 
9. Une sculpture de Buli inédite, dans Bull. de la Société Royale Belge d'Anthropologie et de 
Préhistoire, LXXI, 1960, p. 1-16. 
10. Nous ignorons si cette œuvre, retrouvée voici quelques années et exposée au 
Metropolitan Muséum de New York, a été éditée. Un moulage s'en trouve au Musée 
de Tervuren. Sur Fr. MIOT, voir E. JANSSENS et A. CATEAUX, Les Belges au 
Congo, Anvers, 1911, II, p. 87-90 (avec la liste de ses publications) et Biographie 
coloniale belge, Bruxelles, V, 1958, col. 599-61. 
11. Nous avons identifié cette sculpture, toujours inédite, en 1976. 
12. Nous remercions nos collègues de l'Institut de Zoologie de l'ULg. de nous avoir 
aidé à identifier ces éléments. 
13. Kabwelulu est parfois décrit comme le génie des « sorciers » du Buhabo. Mais 
buhabo est un terme générique qui désigne plusieurs sociétés initiatiques. 
14. Voir Du neuf sur le Maître de Buli, dans Topafrica. Mensuel panafricain, 1975, 2, p. 41, 
42, 48. Cette œuvre se trouve à présent, dans la collection du comte B. de 
GRUNNE. 
15. La grande statuaire Hemba du Zaïre, Louvain-la-Neuve, 1977, p. 320 et 321. Le P. 
Neyt y consigne une tradition selon laquelle le nom du sculpteur était « Ngongo ya 
Chintu ». L'une des traductions possibles de ce « nom » est « le fabricant de la chose 
». Il pourrait donc s'agir d'un sobriquet, voilant mal un anonymat réel. 
16. Note sur un type de kifwebe luba-hemba, dans Revue Universitaire du Burundi, I, 3/4, 
1973, p. 255-261 à compléter par L'art hemba, dans Topafrica. Mensuel panafricain, 1975, 
5, p. 46-48. 
17. Père de Kalala llunga, fondateur du second empire luba. La légende rapporte que 
lorsqu'il se mettait en colère, tout, autour de lui, prenait la couleur rouge. Il existe des 
sièges de Buli où le plateau est soutenu par un couple. Dans ce cas, le personnage 
masculin est identifié à Mbdyi Kiluwe ou Kalala llunga. Parfois, il est simplement 
appelé Mkulu wa Kalakala, soit « l'ancien des tout premiers temps ». 
18. Le siège à cariatide agenouillée du British Museum était autrefois revêtu des 
mêmes parures (voir OLBRECHTS, op. cit., 1946). Il en a été depuis dépouillé (voir LEIRIS, op. cit. p. 110). 
19. La coiffe du siège publié ici, constituée par quatre vastes lobes, n'est pas ornée, à 
l'arrière, de la tresse cruciforme que l'on observe sur un certain nombre d'œuvres de 
Buli. Elle s'apparente davantage au type de coiffures observé par Foà, au sud-est de 
Buli, qu'il compare à une « marmite dont le fond serait appliqué sur la nuque et dont 
le bord s'en irait en arrière : de derrière, on voit un trou noir qui correspond à 
l'intérieur du récipient ». (Voir Traversée de l'Afrique..., Paris, 1900, p. 163 et photo, p. 
248 et Résultats scientifiques des voyages en Afrique d'Ed. Foà, Paris, 1908, p. 264 et 265). 
Autre point de divergence : les tatouages corporels qui pour ce siège sont 
d'inspiration nettement luba. 
20. Op. cit., p. 15 et 16. 
21. Voir successivement : The Tribal Image, London, 1970, n° 41, et Sculptures africaines, 
Paris, 1965, p. 103. 
22. Op. cit., t. II, p. 795. 
23. Par exemple, le fait que la coiffe se trouve souvent déjetée vers la gauche (du 
personnage sculpté). Mais nos informateurs nous ont fait remarquer qu'il s'agissait 
plus vraisemblablement d'une mode relevant d'une forme de coquetterie. 
24. Nous tenons à exprimer ici notre gratitude à Mme Guébels, aujourd'hui disparue, 
qui nous a ouvert le très riche fonds de ses archives. Signalons que L. GUEBELS 
possédait un exemplaire du n° de Brousse, contenant l'article de J. MAES, décrit en 
note 5. Sur L. GUEBELS, voir notamment Biographie belge d'Outre-Mer, Bruxelles, 
VIIb, 1977, p. 165 et 166. 
25. Sur H. BURE, voir Biographie coloniale belge, Bruxelles, IV, 1955, p. 79-81. 
26. Sur Ch. FIRKET, voir Biographie coloniale belge, Bruxelles, I, 1948, p. 375-377. Le 
catalogue de ses collections est conservé à l'Université de Liège sous la cote Mss 
2823b. 
27. Nous songeons notamment à une collection de bâtons de messager songye. Il 
faut relever du reste, que les centres où l'on fabriquait des « objets pour les Blancs » 
étaient à l'époque, déjà nombreux. 
28. Note sur la population de la Lukuga. Extraite de son Journal, dans Le Mouvement 
Géographique, 17 mars 1895, p. 93 et 94. 
29. Op. cit., p. 321. 
30. A rapprocher d'une légende que les Babembe de l'Itombwe, où le gorille est 
toujours présent, nous ont rapportée : là, pour éviter la servitude arabe, le grand 
singe aurait cessé de parler. 
31. Fr.-M. OLBRECHTS notamment, estimant que le visage des figures de Buli 
n'était « nullement négroïde », soutient que l'artiste s'était « sans aucun doute » inspiré 
« d'un modèle ayant du sang hamite dans les veines » (Op. cit., 1951, p. 132). La thèse 
« hamitique », a peu près abandonnée aujourd'hui, était régulièrement alléguée par 
l'ethnographie du passé, pour « expliquer » ce qui lui semblait échapper à l'univers 
bantou dont elle avait élaboré des images souvent contestables. Sur les « inquiétudes 
» que suscitaient déjà les thèses auxquelles se réfère OLBRECHTS (celles d'un 
certain VON EICKSTEDT, auteur d'une Rassenkunde... der Menschheit (1934)), voir H. 
BAUMANN et D. WESTERMANN, Peuples et Civilisations de l'Afrique, Paris, nvle éd. 
1948, p. 23. 
32. Sur ce personnage, voir A. DELCOMMUNE, Vingt années de vie africaine, 
Bruxelles, 1922, t. 2, p. 538 et sv. et ED. VERDICK, Les premiers jours du Katanga, 
Elisabethville, 1952, p. 36 et ss. 
33. Op. cit., p. 94. 
34. Op. cit., t. II, p. 531. 
35. Voir The Fall of the Congo Arabs, London, 1897, p. 259 à 261 : « Their carving in wood and ivory is really beautiful, and I was fortunate in being abler in get to 
England some fine specimens in the shape of paddels, walking-sticks, and axes 
handles, wich are now in the British Museum ». HINDE a laissé plusieurs versions 
de son expédition qui diffèrent sur le point géographique exact de sa découverte. 
Dans l'une de ces versions (Mouvement Géographique, 25 mai 1895, p. 150), il déclare 
avoir récolté ces objets à Katulu, village dépendant en effet de Buli. Mais par ailleurs, 
le British Museum ne possède qu'une seule sculpture relevant du « style Buli » : le 
siège à cariatide auquel il est fait allusion n. 18. Celui-ci est entré au Musée en 1905. 
36. R.J. CORNET, Maniema. Le pays des mangeurs d'hommes, Bruxelles, 1952, p. 218 et 
219. Nous ne partageons pas l'avis de Cornet (voir n. 35). Selon nous, l’ « inventeur » 
de l'art de Buli demeure Fr. MIOT. 
37. Outre HINDE, voir aussi R. MOHUN, Sur le Congo, dans le Mouvement 
Géographique, 30 sept. 1894, p. 84-87. 
38. Voir Historique de la Chefferie de Kabongo, 20 oct. 1914, p. 7-9 (Mss inédit, dû à 
l'administrateur territorial DAMOISEAUX). (Archives de l'auteur). 
39. Voir OLBRECHTS, op. cit., 1951. Foà ne dit rien de ces deux statuettes. Elles se 
trouvent actuellement à Tervuren. 
40. Op. cit., 1900, p. 164 et ss. 
41. Nombreux témoignages chez les voyageurs et surtout les missionnaires. Voir en 
particulier le Bulletin des Missions d'Afrique des Pères Blancs et Le Messager du Saint-Esprit 
de ces années. 
42. G. VAN DER KERKEN, Note générale sur le recrutement dans le Tanganika-Moëro. (c. 
1916. Mss de 16 p. inédit. Archives de l'auteur). 
43. Buli fut capitale du secteur du Tanganyika-Moëro jusqu'en 1912, date où elle fut 
détrônée au profit de Kongolo. Son nom commença dès lors à disparaître des cartes. 
44. Outre les études bien connues de COLLE, BURTON, etc. voir aussi A. VAN 
DER NOOT, La secte des Bambudi, dans Bulletin des Juridictions Indigènes, sept. 1935, p. 
113 et ss. 
45. Etude sur les mœurs et les coutumes des Baluba des régions de Kabongo, 1916, p. 25 et sv. 
(Mss. inédit. Archives de l'auteur). 
46. Op. cit., t. II, p. 542-567. 
47. Op. cit., t. II, p. 847. 
48. Sur ce point, voir surtout le P. TH. THEUWS, Textes Luba, dans Bulletin trimestriel 
du CEPSI, 27, 1954, p. 10, 49 et ss. 
49. Dictionnaire Kiluba-Français, Tervuren, 1954, p. 76 et 77. 
50. Liste des objets cédés par Bure au Baron de Hauleville, cit. d'après W. MESTACH, op cit. 
p. 7. L’usage désigné par Kanunu pour le mboko est confirmé par Van Avermaete, 
op.cit. s.v. 
51. La demeure d'un « grand chef » luba comportait cinq cases principales dont celle 
dite kobo, était réservée à ses mikisi (esprits et effigies des ancêtres). Une fois 
construit, le kobo reçoit en hommage une coupe de terre blanche (mboko) et de 
perles. Après un certain temps, on y dépose aussi « un récipient du ‘malafou’ (de 
sorgho) que le chef reçoit de ses sujets ; il y passera la nuit entière et ne sera bu que 
le lendemain matin. Ceci sera surtout fait avant la mise à exécution d'un projet, le 
malafou ayant reposé une nuit entière auprès des ‘Mikisi’ aura une influence heureuse 
sur la réalisation de ce dernier » (Etudes sur les mœurs... des Luba, cit. p. 15). 
52. W.G. RANDLES, L'ancien royaume du Congo, Paris, 1968, p. 29 et ss. 
53. Sur le rôle des figures royales Ndop, voir BELEPE BOPE MABINTCH, Les 
œuvres d'art plastiques, témoins des civilisations africaines traditionnelles, dans La civilisation 
ancienne des peuples des Grands Lacs, Paris-Bujumbura, 1981, p. 452-463. 
54. La cariatide agenouillée de certains des sièges de Buli ne représenterait pas Kamania, selon nos informateurs. Au contraire, elle serait l'image de la femme 
demandant à Dieu d'être féconde, dans l'attitude rituelle de l'oraison. Ces sièges 
n'étaient donc pas destinés au chefs sacrés balohwe, mais à de simples vassaux. 
55. Msuku désigne également, par métonymie, la « généalogie », l'« ascendance ». 
56. Sur la mystique de l'ascendance maternelle, voir notamment le P. BURTON, 
L'organisation sociale des Baluba, dans Revue des juridictions indigènes, janv.-fév. 1936, p. 
150-153. Un mulohwe ne pouvait régner sans sa mère. Lorsque celle-ci mourrait, 
une autre femme, dite nginabanza, assumait juridiquement et anthropologiquement 
son rôle. Il pouvait également se faire qu'un mulohwe se réincarne dans une femme, 
dite mwadi. Dans ce cas, le chef vivant risquait de se voir mis à l'écart par celle-ci. 
L'on conçoit que lors d'une rupture de succession, au sein d'un même lignage 
matrilinéaire, la transmission du siège sacré, chargé de la magie d'une mère sans 
descendant, puisse poser de réels problèmes. Il arrivait donc que l'on en remplace le 
plateau supérieur (« ventre »), selon une technique assez simple que nous décrivons 
dans une étude plus générale sur les « Techniques de la sculpture chez les 
populations de l'est du Zaïre » (à paraître). 
 
 
 
 
Copyright text © 2006 Pol Pierre Gossiaux 
Préalablement publié dans Art et exotisme, Revue des historiens de l'art, des archéologues, des musicologues 
 et des orientalistes de l'Université de Liège, n° 9, 1990, p. 38-49.


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