Dans les années 1950, on pouvait trouver de nombreux objets au prix de 10 francs sur les marchés aux puces d'Europe. Les premiers objets à prendre de la valeur furent ceux du Bénin car ils étaient en bronze, puis vint la mode des objets à patine noire de Côte d'Ivoire, et ceux des Bakota du Gabon plaqués de cuivre et de laiton. Les grandes statues valaient plus chers que les petites, alors que le plus souvent en Afrique, si elles sont petites c'est pour pouvoir les cacher plus facilement car elles ont une importance particulière.
En 1983, un marchand parisien, Jean-Michel Huguenin, fait découvrir les sièges Sénoufo. En 1985, un autre marchand parisien, Réginald Groux, découvre les échelles de greniers Dogon — provenant de la falaise de Bandiagara — et Lobi dans la région de Mopti (Mali). Il acquiert un premier lot de cinquante, les fait socler et les vend dans sa galerie en faisant un joli profit. Au total il vendra plus de deux cents de ces objets bicentenaires. En 1990, un autre marchand parisien, Maine Durieux, fait découvrir les fers forgés des Bambaras (figurines de 10 cm).
- Statue de reine Bangwa (Cameroun), 3,41 M.$ en avril 1990, Sotheby's New-York.
- Grand Byeri de Chinchoa (Gabon), 2,5 M.FRF en juin 1990, Drouot Paris.
- Statue féminine d'ancêtre Bambara, 900 000 FRF en décembre 1990, Paris.
- Masque Mukuye Punu (Gabon), 617 142 € en juin 2004.
- Plaque du Bénin (vers 1580-1620), 503 250 € en juin 2004.
- Plaque du Bénin du XVI-XVIIe siècle, 691 200 € en décembre 2004.
- Masque Ngil de culture Fang (Gabon), haut de 48 cm, en bois, représentant un visage stylisé peint en blanc au kaolin, 5,9 M d'euros (avec les frais) le 17 juin 2006, Drouot Paris, devenant ainsi l'œuvre d'arts premiers la plus chère jamais vendue au monde.
- Statuette dogon représentant un cavalier, 85 000 € (2007).
- Tabatière tschokwe du XIXe, 25 000 € (2007).
- Statue-reliquaire nkisi, 145 000 € (2007).
- Statue de femme Sénufo, 844 250 € en décembre 2007, Sotheby's Paris.
- Statue Yoruba, Mère à l'enfant, 450 000 € en janvier 2008, 53e foire des Antiquaires de Bruxelles.
Art africain,un marché en pleine expansion
L'Oeil - n° 544 - Février 2003
L’intérêt pour l’art africain s’affirme chaque année. Les expositions et les publications se multiplient, le marché prospère. Petit rappel des grandes dates, des collections et des ventes récentes qui ponctuent une histoire déjà longue.
Expositions, publications et enchères records. Grâce à des institutions comme le musée Barbier-Mueller à Genève, le musée Dapper et bientôt le musée du quai Branly à Paris, grâce également aux maisons de vente Drouot, Sotheby’s et Christie’s, l’art africain fait de plus en plus parler de lui. Le nombre des collectionneurs va croissant et le marché de l’art africain – bijoux, masques, reliquaires, statues d’ancêtres, appuie-tête et autres objets ethnographiques – prospère. L’appréciation de cet art, issu d’un continent où vivaient quelque deux cent mille ethnies, exige un niveau de connaissances qui en limite le nombre d’acheteurs et le met à l’abri de la spéculation financière. Tandis que le prix des meilleurs objets, à cause de leur récente raréfaction, ne cesse de grimper.
Profonde et durable, la fascination de l’art africain sur l’imaginaire européen est plus ancienne encore que la colonisation qui a tant contribué à sa vulgarisation. C’est en effet à partir de la fin du XVe siècle et jusqu’à vers 1700 que des marchands portugais, naviguant au large de ce qui deviendra le Congo
et la Sierra Leone, commandaient auprès d’artistes locaux des objets en ivoire dont ils prenaient possession bien des mois plus tard, lors de leur retour au pays. Ces objets d’art afro-portugais, cuillères sculptées et salières en forme de sphère vidée, reposant souvent sur quatre petits personnages en guise de pieds, juxtaposent motifs africains et armoiries européennes. Pour ainsi dire introuvables sur le marché, ils sont aujourd’hui conservés dans de nombreux musées.
L’histoire ne s’arrête pas là, loin s’en faut. Les premiers objets africains en bois furent introduits en Europe à partir de 1800, peu avant que des conservateurs de musées ethnographiques ne se mettent à écrémer le patrimoine artistique du continent africain. Au tout début du xxe siècle, Picasso admirait des œuvres d’art africain chez son marchand Daniel-Henry Kahnweiler ainsi que chez le peintre fauve André Derain, qui les collectionnait tout en en faisant le commerce. Avant la Seconde Guerre mondiale, d’imposantes collections, comme celle de Paul Guillaume devenue légendaire, se constituèrent à Paris. L’engouement de l’intelligentsia française pour l’art nègre devenait tel qu’André Breton, autant – on s’en doute – par snobisme intellectuel que par goût, s’en détourna afin de collectionner l’art, plus lointain et encore plus exotique, de l’Océanie. La vente de la collection d’art africain de Breton en 1931 fit date. Une nouvelle vente, celle de sa succession, organisée par l’étude Calmels-Cohen du 1er au
18 avril 2003 à Paris, comprendra essentiellement des objets océaniens acquis depuis 1931. Une relative démocratisation de l’art africain s’est dessinée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1984, l’exposition « Primitivisme au xxe siècle » sur les rapports entre art tribal et art moderne, organisée au MoMA de New York, remporta un énorme succès et inspira toute une génération de collectionneurs. Collectionneurs parfois taxés d’être des voleurs.
Les Belges à l’avant-garde
« Il ne faut pas penser que l’Europe a ravagé l’Afrique en s’emparant de tout l’art qui s’y trouvait. Ça, c’est une légende d’archéologue de gauche, de tiers-mondiste », souligne Bernard de Grunne, ancien chef du département d’art tribal chez Sotheby’s, fils du grand collectionneur belge Baudouin de Grunne et directeur aujourd’hui d’une galerie d’art tribal à Bruxelles. « En réalité, poursuit-il, les Européens ont toujours acheté des statues et des reliquaires aux Africains, qui les remplaçaient au fur et à mesure en en faisant sculpter des nouvelles. »
Bruxelles compte plus d’une cinquantaine de marchands d’art tribal, la plus grande concentration au monde. La plupart sont établis dans le quartier des antiquaires et des boutiques de luxe autour de la place du Grand Sablon.
« À cause de ses liens coloniaux, la Belgique a toujours été un centre important pour l’art africain », confie Pierre Loos, directeur de la galerie Ambre Congo, spécialisée dans l’art du Nigeria et du Zaïre.
« Il s’agit d’un art qui passionne un certain nombre de collectionneurs extrêmement sérieux et qui, depuis une dizaine d’années, commence à toucher un public de plus en plus large. » Ce public-là compte des milliers de personnes que l’on croise au mois de juin chaque année à Bruxelles, lorsque les marchands de la Bruneaf (Bruxelles Non-European Art Fair), que dirige Pierre Loos, attirent des collectionneurs du monde entier à leurs cinq journées portes ouvertes.
« L’ambiance est conviviale, sympathique et très acheteur. Je fais autant de chiffre d’affaires pendant la Bruneaf qu’au salon international Tefaf Maastricht ! » s’enthousiasme Émile Deletaille qui, avec sa femme Lin, dirige une galerie consacrée aux arts précolombien, africain et océanien à Bruxelles. Fondateur en 1962 de la galerie Congo, leur confrère bruxellois Marc Félix estime que les Belges se sont toujours trouvés à l’avant-garde de l’art africain : « Nous n’avons pas attendu Picasso et les cubistes pour découvrir l’art africain », s’exclame-t-il. « Nous le collectionnions déjà vers la fin du xixe siècle, bien avant tout le monde ! »
Si les collectionneurs belges sont particulièrement attirés par l’art du Zaïre (ancien Congo belge) ainsi que celui, plutôt abstrait, du Nigeria, les Français ont tendance à préférer l’art de la Côte-d’Ivoire, du Gabon et du Mali. Anciens liens coloniaux, formateurs de goût, obligent. « De nouveaux collectionneurs français qui possèdent déjà de la peinture moderne et contemporaine commencent à s’intéresser à l’art africain, relativement plus accessible », constate Bernard de Grunne. « Par le passé, on avait trop tendance à penser que chaque collectionneur de Picasso allait se précipiter sur l’art tribal. En réalité
il a fallu du temps pour qu’ils franchissent le cap. »
En décembre 2002, Grunne organisa avec Artcurial une vente d’art tribal à Paris comprenant une dizaine d’objets d’art africain de la collection Louis Carré ainsi que deux collections belges. Résultat :
un produit total de plus de 2 millions d’euros, un taux de rachetés certes décevant de 30 % pour les lots moins importants mais des enchères élevées pour les chefs-d’œuvre. Une plaque en bronze du Bénin s’est notamment vendue 350 000 euros, une tête fang 250 000 euros, un buste fang doté d’une provenance prestigieuse (les collections Ratton, Carré et Helena Rubinstein) 320 000 euros.
Pour bien des observateurs, cette vente n’a fait que confirmer la supériorité de Paris et Bruxelles sur New York – capitale du marché de l’art dans tant d’autres domaines – pour l’art africain.
« Il n’y a quasiment plus de marchands d’art tribal à New York et les collectionneurs américains aiment venir acheter en Europe, où il y a encore un réservoir de vieilles collections », estime Bernard
de Grunne.
La place de Paris
Depuis quelques années, les maisons de vente savent très bien recevoir ces amateurs.
Le 30 septembre 2002, une vente d’art tribal chez Sotheby’s totalisa plus de quatre millions d’euros avec un taux impressionnant de lots vendus : 97,27 % en termes de valeur, soit cent lots sur cent neuf. Parmi les pièces les plus importantes, on remarqua un masque du Nord-Est du Congo, acheté 247 750 euros par un collectionneur français contre une estimation entre 35 000 et 45 000 euros ; une plaque en bronze du Bénin, vers 1600, adjugée le même prix que le masque et un marteau à musique sénoufo de la Côte-d’Ivoire, figurant une femme, qui trouva preneur à 192 750 euros, dépassant le triple de son estimation haute.
Christie’s s’était déjà affirmée comme leader dans le domaine de l’art tribal en vente publique, particulièrement à Paris. Le 15 juin 2002, la vente Christie’s organisée par les experts parisiens Alain de Monbrison et Pierre Amrouche (qui y apportèrent aussi quelques remarquable scollections) totalisa
7,4 millions d’euros. Le 8 décembre 2001, autre date marquante, Christie’s avait prêté ses nouveaux locaux avenue Matignon pour la dispersion de la collection d’art primitif de René Gaffé par les études Artus Associés et Calmels-Chambre-Cohen, assistées des mêmes experts. Avec ses vingt-sept lots, majoritairement africains et d’une qualité exceptionnelle, la vacation récolta 4,2 millions d’euros.
La vente parisienne qui frappa le plus les esprits fut cependant celle de la collection d’Hubert Goldet. Collectionneur parisien aussi passionné que fortuné, Goldet acquit son premier objet d’art africain en 1971 à l’âge de vingt-six ans. À sa mort, en 2000, il avait entassé l’une des toutes premières collections d’art africain au monde dans le salon, au rez-de-chaussée de son appartement, en empilant notamment une bonne vingtaine de masques et reliquaires sur une commode Louis XV. Estimés 40 millions de francs, ces six cent quarante pièces qui voyaient rarement la lumière du jour
(Goldet maintenait les volets fermés en permanence) furent adjugées 79 889 700 francs sans les frais, soit plus de 12 millions d’euros, par maîtres Antoine Godeau et François de Ricqlès, assistés de Monbrison et Amrouche, incontournables.
En plus de ses maisons de vente, l’autre grand atout de Paris, ce sont ses marchands – on pense à Hélène et Philippe Leloup, à Philippe Ratton, à Jean-Jacques Dutko. Aujourd’hui, ils avouent avoir beaucoup de mal à s’approvisionner en objets de très grande qualité, l’Afrique s’étant depuis longtemps vidée de son art ancien. Au moment où, vers 1907-1908, Picasso prêtait aux Demoiselles d’Avignon les traits de masques africains, ces derniers commençaient déjà à disparaître de leurs pays d’origine. Achetés en grand nombre par des Européens, rejetés par le christianisme, l’islam et plus récemment par le marxisme et un modernisme iconoclaste, ces objets avaient joué depuis des millénaires un rôle primordial dans la vie spirituelle et communautaire d’un continent entier. Séparés de leurs racines, ils dépendent désormais pour leur survie de la passion des conservateurs et des collectionneurs.
Powell Nicolas
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