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African Paris. Art premier primitif africain
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Enchères et émotions
AuteurRolande Bonnain-Dulon du même auteur

École des hautes études en sciences sociales
EHESS
Centre de recherches historiques
54, bd Raspail
75006 Paris

Au-delà de leur public bien sûr, les ventes aux enchères passionnent les sociologues et les ethnologues et ce, à juste titre [Matras-Guin, 1987 ; Quémin, 1993 ; Rémy 1990]. Grâce à eux, on a compris pourquoi cette pratique sociale qui mêle l’économique au symbolique, le rationnel aux émotions, l’individuel à une certaine forme de collectif attire tant de gens qui vont là comme au spectacle, par curiosité, sans avoir toujours l’intention de participer aux enchères. Ces chercheurs nous ont également montré le rôle que ces lieux ont joué sur la constitution des communautés diffuses et temporaires, la mise en place de rituels profanes, le vécu de la concurrence, le rapport aux objets, le métier de commissaire-priseur.
2 Avec cet article, nous visons à montrer la forte incidence du lieu et les effets de sa représentation sur l’existence, les pratiques et les particularités d’un certain monde[1] [1] On utilise ici le terme « monde » dans le sens que lui...
suite, celui des collectionneurs d’arts premiers[2] [2] L’expression « arts premiers » désigne ici, sans...
suite dont les objets acquièrent lentement le statut d’art classé, en particulier en ces temps où le Louvre les accueille.
3 Aujourd’hui, les anciennes puissances coloniales ne se livrant plus à des guerres de conquête, une pièce classée dans les arts premiers n’a guère que deux voies légales pour entrer dans les collections publiques ou privées : d’un côté, le don qu’en font des personnes vivantes, le legs ou la dation venant de défunts ; de l’autre, l’achat de gré à gré ou l’acquisition lors d’une vente publique aux enchères quand le mieux-disant l’emporte à l’issue d’une lutte que se livrent les amateurs. Pourtant, ni l’ambiance agonistique de la salle des ventes où s’effectue le changement de propriété, ni les aléas des demandes visant à acquérir l’objet convoité, ni le cachet officiel donné à la transaction par le statut juridique des commissaires-priseurs n’expliquent, à eux seuls, pourquoi « Drouot »[3] [3] Drouot est le terme sous lequel on désigne l’hôtel des...
suite – que l’on y achète ou non – focalise les émotions des collectionneurs, ici comme dans les autres grandes salles de vente. Rares sont ceux, mais ils existent, qui déclarent ne pas acheter en vente publique, car les objets de qualité y atteignent des prix trop élevés. Cependant, tous y assistent.
4 La raison de cette assiduité ? Nulle part ailleurs, l’offre n’est aussi concentrée. Paris recueille en effet 40 % du produit des ventes nationales[4] [4] En 1994, il existait 459 commissaires-priseurs officiant...
suite et beaucoup plus quand il s’agit de biens rares ; au dire des professionnels, 80 % des objets d’arts premiers mis sur le marché parisien passent par l’une des 3 000 ventes où se négocient 600 000 pièces par an. Chaque jour, c’est un nouveau musée qui se constitue très provisoirement et montre au public, peut-être pour la première ou la dernière fois, des œuvres d’art. À une telle concentration visible par tous répond celle des amateurs, particuliers ou professionnels : 100 à 200 personnes remplissent la salle lors de chaque vacation, voire plus si les objets sont recherchés pour leur rareté ou leur importance. La vente aux enchères publiques est un acte économique et une forme particulière d’échange qui tient une place majeure sur le marché de l’art.
5 Pourtant la transparence et le contrôle des échanges qui sont les buts affichés d’une telle technique de vente ne doivent pas faire oublier que la dispersion aux enchères publiques a pour fonction principale l’établissement de définitions socialement acceptables quant à la valeur de l’objet et la désignation de son nouveau propriétaire [Smith, 1989]. Ceci se fera au cours d’un véritable spectacle où les protagonistes, commissaire-priseur, expert, clerc de l’étude, crieur et commissionnaire tiennent des rôles différents et clairement établis.
6 Le public y est acteur et témoin : il s’agit d’une vente publique qui doit se dérouler au su et au vu de tout un chacun ; comme lors d’un mariage, on ne ferme jamais la porte de la salle. Le public n’est pas, pour autant, un simple agrégat d’individus ni une foule banale. Le consensus nécessaire à la répartition des objets et à la nouvelle délégation de propriété ne peut venir que d’une communauté unie par des intérêts partagés. C’est la fonction du commissaire-priseur que d’établir et de faire prendre conscience de cette communauté que soude l’incertitude suscitée par l’émotion. Cependant, à la différence des autres publics du monde de l’art, cette communauté composée de collectionneurs peu nombreux et qui pour la plupart se connaissent tous préexiste à la vente. Cette mise en scène d’une activité légitime et légale qui promeut ou confirme les objets au rang d’œuvres d’art, alors que leur statut a été si longtemps incertain, donne au monde de la collection l’occasion de se réaffirmer. Ainsi, la dispersion d’une collection, ou une vente d’objets prestigieux, est toujours vécue comme un événement qui dépasse de beaucoup la simple sortie, l’occasion de s’amuser ou même de faire une affaire [Clark et Halford, 1978]. Quant aux nouveaux spectateurs, participer à une vente spécialisée est pour eux une sorte d’initiation avec la fascination qu’elle exerce et les dangers qu’elle comporte.
QU’EST-CE QU’UNE VENTE AUX ENCHÈRES ?
7 Dans l’Antiquité déjà, on connaissait les ventes aux enchères publiques de biens mobiliers et immobiliers. On les utilisait aussi pour fixer le prix et désigner le propriétaire de biens rares et recherchés comme les gros poissons si appréciés par les gourmets romains. En France, le terme « encan »[5] [5] Ce terme est toujours en usage au Québec. ...
suite, qui désignait à la fin du XIIIe siècle une vente publique aux enchères, a pour origine le latin classique in quantum (« pour combien »). Le terme « criée » qui, toujours au XIIIe siècle, annonçait une vente sur la voie publique, prenait à la Renaissance pour sens la publication faite à la porte de l’église de biens saisis et exposés en vente au plus offrant et au dernier enchérisseur par un sergent à verge et à cheval [Nicot, 1606], dont Saint Louis avait déjà fixé le statut. Finalement, l’opération de vente où le prix de cession est fixé par des propositions successives et montantes des participants prendra à l’époque moderne l’appellation « enchères », d’« enchérir », « rendre plus cher ». Le mécanisme de la vente est simple : sur la base d’une estimation faite par le commissaire-priseur ou celle donnée par son expert, c’est celui qui offre le plus qui emporte l’objet.
8 La vente aux enchères est nécessaire pour fixer les prix déterminés par la valeur. Elle s’imposerait quand il est impossible d’évaluer la quantité de travail qui a été nécessaire pour produire un objet ancien ou les coûts de production d’un objet d’art [Smith,1989]. Ce serait la rareté qui incite le vendeur à passer par les enchères, système d’allocation dissymétrique et avantageux pour lui [Quémin, op. cit.]. Quoi qu’il en soit, c’est un moyen qui permet la redistribution de nombreux objets auprès d’un maximum de clients. Les collectionneurs apprécient beaucoup les ventes aux enchères publiques pour plusieurs raisons : les cotations influent sur les prix des ventes de gré à gré, et ils contrôlent ainsi en quelque sorte les prix demandés par les galeristes ; en outre, ils peuvent suivre les fluctuations du marché. Dans le cas des arts premiers, les résultats des ventes permettent aux amateurs de mieux apprécier la qualité de leurs possessions au regard des cotes obtenues.
9 Quant à la profession prenant en charge les ventes aux enchères, c’est progressivement qu’elle acquiert le statut que nous lui connaissons aujourd’hui. Par l’édit de février 1556, Henri II institue les charges de « maîtres-priseurs-vendeurs » à qui il confie le monopole[6] [6] Monopole qui prendra fin en l’an 2001 pour des raisons...
suite territorial des ventes de biens meubles de seconde main. Cet édit inscrira définitivement la profession dans l’ordre du juridique. C’est bien ce qu’indique l’appellation de cet officier ministériel, le commissaire-priseur, qui associe la charge et la spécialité, la mission et l’estimation[7] [7] La prisée est toujours pratiquée de nos jours sous ce...
suite. Relèvent encore du juridique la pratique du procès-verbal qui accompagne toute vente, les garanties et l’utilisation du terme « adjugé », du latin adjudicatum (« attribué par jugement ») et qui, au milieu du XVe siècle, était prononcé quand un bien était attribué à une personne lors d’une vente aux enchères. Quant au terme « crieur », il désigne désormais celui qui annonce les prix dans la vente à la criée (les ventes en gros de marchandises) et celui qui répète à haute voix les annonces du commissaire-priseur.
10 À Paris, les ventes aux enchères publiques se font traditionnellement dans un immeuble situé rue Drouot : reconstruit sur l’emplacement qu’il occupait depuis 1852, il a été inauguré en 1980 et devrait être rénové durant l’année 2001. Il contient des magasins, des bureaux administratifs, un parking et seize salles sur deux étages. Celles-ci sont consacrées aux ventes de tableaux, meubles et objets d’art. Sous l’appellation Drouot, il existe en fait vingt-trois salles, regroupées en quatre lieux spécialisés au nombre desquels il faut compter depuis 1988 les deux salles vouées aux ventes de prestige de Drouot-Montaigne.
11 En 1994, le chiffre d’affaires officiel de Drouot était de 3,4 milliards de francs. L’étude la plus performante du marché français affichait un chiffre d’affaires de 370 millions de francs contre 862 millions de livres pour le plus grand auctioneer anglo-saxon[8] [8] En 1997, les usa avec 7,3 milliards de francs de chiffre...
suite.
12 En 1991 ont eu lieu 1 829 ventes dont 919 avec catalogue. Sur ces 919 ventes, 18 étaient consacrées aux arts premiers ; elles ont dispersé 3 223 pièces : 1 810 objets africains, 1 017 précolombiens, 279 océaniens et indonésiens, 61 américains du Nord et 56 américains du Sud. Première constatation : le marché n’est pas aussi confidentiel qu’on le croit, en particulier pour l’art précolombien ; toutefois, il apparaît infime comparé à l’ensemble des objets passant par Drouot-Richelieu et Montaigne. Seconde constatation : les prix obtenus ne correspondent pas à ce qu’en disent les détracteurs du commerce des arts premiers. Toujours en 1991, au regard de 60 tableaux modernes et contemporains ayant dépassé l’enchère de un million de francs, on ne comptait qu’un objet d’art premier : une tête reliquaire fang datant du milieu du XIXe siècle qui avait atteint le montant de 2,73 millions de francs, record français de l’époque.
DEUX TYPES DE VENTE
13 Parce que les ventes aux enchères sont ouvertes à tous mais qu’il faut répondre à l’obligation de cohérence du public nécessaire à la vente d’un objet au meilleur prix sinon au juste prix, il importe que, dès le départ, l’étude du commissaire-priseur émette un certain nombre de signaux qui indiquent quel doit être le public concerné par la catégorie de bien vendu. Le catalogue est l’un de ces signaux. Il existe, en effet, deux types de ventes aux enchères, les ventes avec ou sans catalogue. Si elles répondent aux mêmes règles structurelles de la mise sur le marché, elles diffèrent par leurs pratiques quant à l’annonce de la vente et l’exposition, la mise en scène et l’écho qu’elle trouve dans les journaux spécialisés à la rubrique « Marché de l’art ». Leur répartition dans l’année et leur fréquence sont semblables. Cependant les lieux et les horaires diffèrent. Dans plus des deux tiers des cas (toutes catégories confondues), les ventes ont lieu à Drouot-Richelieu et elles débutent à 14 heures ou 14 h 30. Les autres ont lieu à Drouot-Montaigne, généralement en soirée. Ce sont les plus renommées dans la mesure où elles dispersent des objets considérés comme importants : comparable à la société, le monde des œuvres d’art s’ordonne selon des hiérarchies multiples, celle de la rareté, celle qui place certaines cultures ou civilisations au-dessus des autres pour de multiples raisons historiques ou esthétiques d’où la science et la mode ne sont pas exclues.
14 Depuis 1895, le nombre de ventes spécialisées[9] [9] Ce sont les seules qui sont conservées dans les archives...
suite concernant les arts premiers a été de 559. La fréquence annuelle est montée lentement : nulle jusqu’en 1920, elle était de 4 ventes par an sur la période 1920-1930 pour atteindre le chiffre de 6 par an jusqu’à la guerre et redescendre à 4 jusqu’en 1950. À partir de cette date, la fréquence annuelle remonte à 5 ventes entre 1950 et 1960, 7 ventes entre 1960 et 1970, 10 ventes entre 1970 et 1980, 12 ventes entre 1980 et 1990. Entre 1990 et 1995, malgré la crise qui a suivi la guerre du Koweït, on comptabilisait déjà 10 vacations par an. Le goût pour les arts premiers s’est donc affirmé progressivement et régulièrement depuis la Première Guerre mondiale.
15 Au fil des ans, les ventes présentent une fréquence mensuelle relativement inégale. Les ventes de prestige se concentrent pendant quelques semaines : les mois les plus creux de l’année active sont janvier (0,9 % des ventes de la période) et octobre (5,5 %) ; les vacances d’été obèrent les chiffres de juillet (4,6 %) et septembre (0,5 %) et celles de printemps les résultats d’avril (7,0 %) ; la fréquence mensuelle est au-dessus de la moyenne pour les mois de février (8,4 %), mars (14,0 %), mai (12,2 %), juin (19,3 %), novembre (9,1 %) et décembre (18,2 %). Les trois pics, juin, décembre et mars, constituent la « saison » du collectionneur.
16 Pour vendre un objet au meilleur prix sinon à son juste prix, il est important de lui trouver un public. Comme les ventes aux enchères sont ouvertes à tous, on rencontre dans n’importe quel milieu d’amateurs des ambiguïtés quant à l’ordre normatif partagé rendant problématique l’établissement de cette communauté. Cet aiguillage est nécessaire pour établir une communauté qui sanctionne la nouvelle valeur de l’objet et se traduit par un prix et une nouvelle entrée en possession.
LES VENTES SANS CATALOGUE OU LA RÉCOMPENSE DE L’ASSIDUITÉ
17 On les qualifie aussi d’« ordinaires » puisque la nature, la qualité et la rareté des biens interviennent dans la décision de ne pas éditer un catalogue coûteux en raison du travail préparatoire nécessaire pour l’imprimer. Les objets proposés proviennent souvent de successions, beaucoup plus rarement de ventes judiciaires en ce qui concerne le domaine des arts premiers, et d’apports de particuliers qui souhaitent écouler plusieurs dizaines de pièces en même temps. L’étude compose la vente, appelée aussi « vacation » par métonymie. Elle est annoncée dans la Gazette de l’hôtel Drouot et fait l’objet d’une description très générale qui permet aux amateurs comme aux professionnels de décider de venir à l’exposition qui a lieu la veille de la vente.
18 À onze heures du matin le jour prévu, une foule d’habitués attend en bavardant l’ouverture de Drouot. Ceux qui s’intéressent aux ventes ordinaires prennent l’escalier mécanique en direction du sous-sol où elles ont généralement lieu. Dans les salles du bas, la présentation des biens à vendre est sans ordre apparent, les meubles de style s’alignent le long des murs sous des tapis usés jusqu’à la corde. Les lots sont fréquents, preuve qu’il n’y a pas ici d’objet rare. Et pourtant…

 


19 Les visiteurs font le tour des salles le plus souvent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre afin de ne pas gêner la circulation entre les meubles. Ont-ils besoin d’informations, ils s’adressent au clerc principal ou aux commissionnaires, les « cols-rouges » ou « Savoyards »[10] [10] Ils sont 110 à porter le bourgeron de satinette noire dont...
suite. Ils peuvent déjà leur donner des ordres d’achat suivant l’estimation fournie s’ils pensent ne pas pouvoir assister à la vente. Les gens paraissent pressés et bavardent peu, s’arrêtant plus volontiers à l’extérieur.
20 Le lendemain matin, le jour de la vente, entre 11 heures et midi a lieu la « prise en main » ; au milieu de la bousculade, on peut examiner et toucher les objets, jusque-là enfermés dans les vitrines. Cependant, tout est prêt pour la vente de l’après-midi : les meubles sont au fond de la salle, les vitrines alignées le long du mur de gauche et la table est en place sur l’estrade, sur laquelle s’installeront le commissaire-priseur et ses clercs. Les sièges de plastique gris réservés au public seront alignés laissant une allée centrale et un espace libre dans le fond de la salle.
21 Quelques minutes avant l’heure de la vente, les portes de la salle s’ouvrent, laissant passer un public composé de particuliers peu loquaces. Les marchands, des antiquaires et plutôt des brocanteurs pour ce type de vente, arrivent peu à peu. Certains se placent au fond de la salle pour aller et venir d’une vente à l’autre et se mettre d’accord sur une éventuelle révision[11] [11] La révision est une entente entre marchands : un seul...
suite. On distingue bien les brocanteurs des autres assistants : en tenue de travail (blousons, jeans et polos), ils sont très familiers avec les professionnels de la vente – ils tutoient les vieux clercs, ils attrapent les « cols-rouges » par le bras – et se déplacent derrière les vitrines pour jeter un ultime coup d’œil : toute leur attitude montre qu’ils sont ici pour des raisons professionnelles. En quelque sorte, Drouot leur appartient. Les particuliers ont une tenue plus stricte, les hommes arborant notamment une cravate. Dans ces ventes, à moins qu’il n’y ait du linge, des fourrures, des accessoires de mode, des bijoux, des poupées, de la vaisselle et des petits meubles, on voit très peu de femmes.
22 Le commissaire-priseur, habillé très classiquement, monte dans sa chaire. À sa gauche s’installent le clerc qui rédige le procès-verbal de la vente et le comptable. À sa droite prend place le clerc principal qui tient les ordres d’achat en main. Il est mobile et peut remplacer le « crieur » qui répète les enchères et remet les bulletins d’acquisition. Les clercs font partie de l’étude qui les rémunère, les deux commissionnaires sont rétribués à la journée par le commissaire-priseur, comme l’est le crieur qui est indépendant[12] [12] Le crieur payé à la vacation a appris son métier sur...
suite.
À CHACUN SA PARTITION
23 À l’heure annoncée, le commissaire-priseur, qui dispose désormais d’un micro, déclare : « On commence la vente aux conditions habituelles » et parfois « La vente a lieu sans garantie, les objets sont vendus dans l’état où ils se trouvent ». Suit une séquence bien réglée qui se répétera tout au long de la séance. Le clerc principal annonce le numéro du lot, parfois posé sur une sellette par un col-rouge et apporté par un autre commissionnaire qui le présente au public. Le commissaire-priseur se tourne vers son clerc tout en consultant une liste et lance un prix de départ, équivalant généralement à la moitié de la valeur estimée du marché. Il relève ensuite les signes de ceux qui veulent enchérir : les premiers chiffres sont souvent donnés oralement, les autres par un simple signe de tête ; à la dernière enchère et après s’être assuré qu’aucune autre personne ne surenchérit, il donne un coup de son marteau de bois ou d’ivoire sur la table en disant « Adjugé ! ». Le crieur apporte au dernier enchérisseur le bulletin qui porte le numéro d’identification du lot qu’il échange contre de l’argent comptant ou un chèque signé que le comptable rangera dans un répertoire alphabétique. Le client a le choix : il peut garder l’objet s’il n’est pas trop volumineux mais il peut aussi en différer la réception. Plus généralement, l’objet est reporté vers l’arrière-salle où l’acquéreur le prendra à la fin de la vente ou le lendemain. Cette séquence se répète autant de fois qu’il y a de lots. À la fin de la vacation, les possesseurs de bulletins viennent régler leurs achats auprès du comptable et prendront le bordereau d’achat qui tient lieu de facture avant d’aller chercher leurs achats dans l’arrière-salle. Certains clients, très pressés, n’attendent pas le règlement pour quitter la salle. Huit jours plus tard, ils recevront leur bordereau d’achat de l’étude.
24 Tous les observateurs ont remarqué que les vacations commencent invariablement par des objets de faible valeur, mais de bonne qualité afin que le public participe très vite et réalise sans tarder l’existence de cette communauté d’enchères sans laquelle il n’y a pas de vente satisfaisante. Ces préliminaires peuvent durer une demi-heure quand la vente ne présente que des lots de peu d’importance. La dispersion des manettes joue également un rôle dans la mise en condition du public : ce sont de grands paniers d’osier dans lesquels, en principe, on dispose des objets dépareillés et encombrants qui devraient être sans valeur réelle la plupart du temps. C’est pourtant là que les bons chineurs[13] [13] « Partir à la chine », c’est partir sans indication...
suite font les meilleures affaires. Bien que l’on ait vu ce que contenaient les manettes lors de la séance de 11 heures, leur passage est toujours l’occasion de bousculades au pied de l’estrade. Les brocanteurs quittent le fond de la salle pour s’approcher des paniers et repérer les objets « voyageurs », empêchant le public assis de voir. Ils agissent comme si la discipline et la réserve attendues des assistants ne les concernaient pas, et que cette marchandise leur était réservée. C’est l’occasion pour le commissaire-priseur de faire quelques plaisanteries et de réclamer le calme sans pour autant décourager les contrevenants.
25 Le commissaire-priseur est assisté par le crieur. Celui-ci est son porte-parole quand il répète le dernier chiffre prononcé, il est celui du public quand il signale de nouveaux enchérisseurs. Il va et vient entre le comptable et la salle apportant les bulletins et, plus récemment, les objets de petite taille et rapportant les chèques. Il est partout à la fois. Chargé de la réalisation matérielle des procédures requises par le changement de statut de l’objet, il fait la navette entre celui qui annonce le changement et le futur propriétaire, puis entre le comptable et le client. Sa mobilité permet que la promesse légale de vente, sanctionnée par le commissaire-priseur, soit exécutée. Par ses allées et venues, il tisse donc, de façon visible, le tissu social qui fait adhérer l’assistance aux jugements prononcés du haut de l’estrade.
26 Le tempo de la vente dépend beaucoup, mais pas seulement, de la rapidité avec laquelle le commissaire-priseur recueille et énonce les enchères car c’est en général lui qui dit les prix et décide de leur progression, montrant ainsi qu’il est le maître des enchères. En somme, ce tempo dépend de son degré de professionnalisme. Pour que les chiffres soient donnés de vive voix par les participants, il faut que ce soit par un habitué reconnu, un professionnel de l’Hôtel ou qu’ait lieu un duel déclaré pour l’acquisition d’un objet. Les chiffres suivent une progression variable. Évidemment, les chiffres montent d’autant plus vite qu’il y a plus d’amateurs pour le lot présenté et le commissaire-priseur peut alors sauter des paliers.

 


27 En général, mais cela dépend de la personnalité du maître des enchères et du type de la vente, la cadence est de 60 à 80 lots passés à l’heure. Elle est ralentie quand les enchères se prennent au téléphone, pratique qui se répand de plus en plus, même dans les ventes ordinaires, malgré les lenteurs qu’elle occasionne : il faut appeler l’amateur, répéter les annonces, attendre sa décision et son offre. Accepter ce type d’enchères est possible parce qu’il respecte l’anonymat officiel des enchérisseurs. Cet anonymat est interprété comme l’expression de la distance sociale maximale établie entre individus pour pallier les tensions générées par la concurrence. Il est aussi le corollaire de l’égalité formelle établie dans la communauté des enchères. D’ailleurs, il n’empêche pas la connivence de s’établir entre le commissaire-priseur et l’acheteur quand la personne a déjà acheté et qu’elle est solvable : « À Monsieur qui est connu, là-bas ! » La vente aux enchères est une opération économique qui a besoin des relations sociales pour être réalisée.
28 Les remarques émises par le commissaire-priseur contribuent à donner un style à la vente. Dans les ventes ordinaires où ne sont écoulés que des objets usuels la plupart du temps, l’ambiance est bruyante, les va-et-vient multiples, les plaisanteries nombreuses car le rire fait tomber les barrières. Le ton familier du commissaire-priseur est surtout destiné aux brocanteurs qui enlèvent la « drouille »[14] [14] En argot de métier, la drouille désigne la marchandise...
suite ; il leur donne l’impression qu’ils font des affaires et il indique aux autres membres de l’assistance que les objets écoulés ne méritent pas le respect dû aux pièces de qualité. Ces ventes sont hétéroclites mais très fréquentées car on peut y trouver des pièces des arts premiers reconnus comme tels mais que le clerc chargé de la réception n’a pas estimé à leur juste valeur : c’est le cas des « souvenirs de voyage » et des petits objets dont la rareté a empêché qu’ils soient identifiés. À ce titre, Drouot occupe une place de choix dans la « légende dorée » du collectionneur, celle qui garde le souvenir des faits heureux et soutient le passionné dans sa quête.
29 À côté de ces ventes à l’atmosphère bon enfant et parfois relâchée, il en existe d’autres, très différentes par leurs pratiques et leur public et qui sont très attendues par l’ensemble des amateurs d’arts premiers : ce sont les ventes avec catalogue.
LES VENTES AVEC CATALOGUE OU LA CONFIRMATION DE L’EXCELLENCE
30 Dans cette catégorie se trouvent les ventes spécialisées, regroupant, comme l’indique leur spécificité, les objets relevant de un ou de plusieurs domaines précis de l’art. On y rencontre celles organisées au moment de la dispersion d’une collection du vivant ou après la mort de celui qui l’avait constituée et de celles des successions prestigieuses en raison de la personnalité et de la renommée du défunt. Ces deux derniers types de vacations sont les plus faciles à organiser puisque le corpus est déjà constitué. Elles font souvent parler d’elles en raison de la réputation du collectionneur[15] [15] Parce qu’il appartient à la fois au monde de l’écrit...
suite.
31 Dans tous ces cas, le marché des biens mis en vente est réduit parce qu’il s’agit d’objets relevant de l’art classé (Moulin) ou parce que la clientèle intéressée est restreinte, limitée, en raison de son fort pouvoir d’achat. Il faut donc faire connaître la vente par une publicité adaptée à son public : c’est l’une des fonctions du catalogue. Trois semaines avant la vente, il est envoyé aux amateurs sélectionnés par l’étude et l’expert. Corollaire de ce « ciblage », la présentation correspondra à la valeur escomptée des biens proposés : on jouera donc du papier glacé et des illustrations, de l’épaisseur de la couverture pour inciter les clients potentiels à penser que la vente dispersera des objets exceptionnels. Artifices qui ne trompent pas le public averti, mais enthousiasment les novices et les personnes extérieures à ce monde.
32 Inversement, quelques pages agrafées, précédées d’une mauvaise reproduction en noir et blanc, obtenue par photocopie, annonceront clairement qu’en dépit de l’existence du document, on ne procédera a priori qu’à la dispersion de biens de moindre valeur. Le catalogue équivaut à un encart publié dans un journal qui parviendrait au domicile de l’amateur. C’est aussi une sorte de carte de visite de l’étude, et chacune a son style que les habitués reconnaissent aisément. Ajoutons que dans le cas des arts premiers, il y a moins d’une dizaine d’études spécialisées dans ce domaine : il faut connaître le milieu des collectionneurs, les collections qui seront bientôt mises en vente et les tendances du marché international. Si ces études sont choisies plutôt que d’autres pour ce genre de transactions, c’est que leur commissaire-priseur a la réputation de connaître et d’aimer ces formes d’art et que l’on vend mieux ce que l’on connaît.
33 Le catalogue remplit une fonction d’informateur : chaque objet est doté d’une notice descriptive et informative, une « fiche » donnant l’usage, l’origine géographique et ethnique, la composition, les dimensions, l’état, les accidents et éventuellement les restaurations nécessaires. Il jouerait ainsi en faveur d’une égalisation des connaissances des objets proposés. En fait, comme l’information est fournie par l’étude et l’expert, c’est le vendeur qui en bénéficie puisque la notice fait ressortir les qualités et la rareté du bien.
34 Par ses notices et ses illustrations, le catalogue joue également un rôle d’échantillon. C’est encore un objet de substitution de la vente car il servira de référence pour cette dernière et les objets dispersés. Il témoigne des avancées de l’histoire de l’art : entre les deux guerres, un petit masque de jade n’était encore accompagné que de son origine géographique (Mexique préhispanique, Chiapas) ; aujourd’hui, il est précisé qu’il appartient à la civilisation olmèque qui a été découverte lors de la dernière guerre mondiale.
35 Le catalogue a une autre fonction qui déborde l’information stricte : établi par un ou plusieurs experts, il garantit l’authenticité des objets car il n’y a pas de vente avec catalogue sans expert confirmé. Sans nom d’expert porté sur le catalogue, celui-ci ne serait qu’une simple liste, un banal aide-mémoire[16] [16] Les experts sont d’ailleurs assurés en cas d’erreur. ...
suite.
36 Enfin, le catalogue renseigne désormais sur la valeur estimée des pièces. Avant 1978, il n’était pas d’usage de porter les estimations en regard des lots proposés. Lors de la dispersion de la collection Yankel cette année-là, l’étude Loudmer les donnait à la fin du catalogue. En 1988, la même étude accompagnait chaque lot de son estimation. Les autres études ont suivi plus tard. On ne doit pas voir dans cette nouvelle pratique une autre preuve que l’objet est réduit à sa valeur marchande. On constate simplement l’internationalisation du marché à un moment où les télécopieurs personnels étaient très rares et quand l’Internet n’existait pas encore. La recherche d’une clientèle étrangère explique pourquoi les commissaires-priseurs soucieux d’étendre leurs activités mettent l’accent avec insistance sur la rédaction et la présentation du catalogue.
37 Si l’on insiste tant sur le catalogue en tant que critère de différenciation des ventes, c’est qu’il ne s’agit pas d’une distinction formelle établie pour mettre de l’ordre dans une démonstration et sans effet sur une réalité. L’existence du catalogue distingue matériellement et symboliquement une vente des autres ventes. Il n’est pas forcément rédigé, publié, diffusé à l’occasion de ventes spécialisées, mais il l’est toujours lorsqu’il s’agit de biens dont on espère obtenir des prix élevés. Le catalogue est plus ou moins luxueux, plus ou moins illustré selon la valeur escomptée des biens mis en vente. Pour les ventes de pièces des arts premiers, le public a été restreint pendant de nombreuses années : le recours au catalogue s’est révélé indispensable après la dispersion des objets en tant que support de la mémoire du groupe et outil de travail et d’échange.
38 Le catalogue qui remplit de nombreuses fonctions relatives à l’information et à l’itinéraire historique d’une pièce cerne le réseau de circulation potentiel des objets mis en vente. Mais que la vente se fasse avec ou sans catalogue, lors d’une même vacation, les biens sont tous de qualité comparable : les marchands qui viennent acheter sont des professionnels dont l’emploi du temps n’est pas extensible ; ils doivent pouvoir trouver en un même lieu le maximum d’objets qui les intéressent.
L’EXPERT, GARANT DE L’AUTHENTICITÉ ET DE LA VALEUR
39 Parce que l’expert a rédigé le catalogue, qu’il a produit une vente « clefs en main », c’est-à-dire qu’il a apporté l’ensemble des objets à vendre, ou qu’il soit rattaché à une ou plusieurs études, il a un rôle très important. C’est lui qui a distingué les pièces authentiques des fausses et des copies [Bessy et Chateaureynaud, 1995] en se documentant, les a estimées, a rédigé les notices d’accompagnement, a choisi les photos. Il a constitué un ensemble avec des objets de provenances diverses. Connaissant le marché parce qu’il vend lui-même ou qu’il a beaucoup vendu, il a choisi la couverture du catalogue, illustration qui agira sur les amateurs comme un appât et qui, plus tard, permettra d’identifier la vente[17] [17] Il est bien connu qu’un objet photographié obtiendra...
suite. Auparavant, l’expert a déjà discuté de l’origine des objets avec les vendeurs, a comparé leurs demandes avec les cotes obtenues pour des objets semblables dans des ventes précédentes, a fixé les prix de réserve en dessous desquels le vendeur ne peut pas descendre.

 

 

 


40 Les objets décrits dans le catalogue sont exposés à l’étude quelques jours avant la vente. C’est leur première sortie en public depuis la décision de la mise sur le marché mais certains collectionneurs, bien connus par l’expert, auront déjà eu le privilège de les voir dans les réserves mêmes de l’étude afin de pouvoir réfléchir à une éventuelle acquisition : cette prise en main d’objets entassés les uns sur les autres, mais néanmoins numérotés, permet aux amateurs d’éviter l’exposition officielle s’ils ne veulent pas montrer qu’ils sont intéressés. Après l’étude, les objets seront dispersés dans la salle de Drouot, où une grande affiche, parfois illustrée, annonce la vente. Là comme à l’étude, l’expert est chargé des relations publiques. Il salue les clients habituels de sa galerie, ceux qui participent au monde de la collection. Il répond aux questions posées sur les pièces et les éventuelles restaurations qu’elles auront à subir ; il donne s’il le peut le trajet qu’elles ont suivi de collection en collection, leur histoire en Occident ; il assure, rassure, certifie et accepte les ordres d’achat pour la vente.
41 Ce jour-là, il reçoit les objets des mains des commissionnaires, annonce leur numéro, en donne une description rapide et énonce le prix du départ de l’enchère par un « Commençons à… », et un chiffre que le commissaire-priseur reprend pour démarrer les enchères. Une autre tâche de l’expert, pendant la vente, consiste à exécuter les ordres d’achat qui lui ont été confiés précédemment et à appeler au téléphone les amateurs qui ne sont pas présents mais qui veulent participer aux enchères.
42 Pour ce travail, l’expert touche au maximum de 3 à 5 % de la valeur des objets. Ce pourcentage est destiné à couvrir les frais de transport, de stockage, de secrétariat et ses honoraires[18] [18] Pour une vente qui s’était déroulée en juin 1996, on...
suite. Être expert, sauf en cas de vente importante ou de dispersions, n’est pas d’un important rapport lors des ventes moyennes. En revanche, cette attribution permet de vendre des objets « confiés » plus rapidement que dans les ventes de gré à gré.
43 L’expert n’est pourtant pas le simple intermédiaire entre acheteurs et vendeurs qui lui confient leurs intérêts en raison de sa connaissance des objets et du marché. Il est en quelque sorte le porte-parole des premiers lors de la vente. Si, aux yeux d’un observateur non averti, ses interventions semblent limitées à ce double rôle de courtier et de héraut, dans le cas de ventes organisées entièrement par l’étude, il a d’autres prérogatives quand il apporte la vente à l’étude. Il en est alors responsable au même titre que le commissaire-priseur : il doit en obtenir le meilleur prix possible et vendre tout ce qu’il a accepté de se voir confier. Il lui faut donc attirer le maximum de clients potentiels et les décider à acheter en leur laissant croire qu’ils feront une bonne affaire. Comment concilie-t-il ces deux astreintes, un prix de vente élevé et un prix d’achat raisonnable ou supposé tel ? Il estime à leur juste valeur, et parfois un peu en dessous, les objets confiés par les vendeurs, il donne des estimations volontairement basses aux amateurs afin de ne pas les effrayer. L’essentiel est qu’il y ait du monde à la vente. Il fait confiance au feu des enchères pour décider l’amateur (ce qu’un professionnel fera rarement) à pousser plus loin qu’il ne l’a décidé au départ. Au courant des prix de réserve puisqu’il les a fixés avec le client, il a la latitude de laisser partir un objet en dessous de ce prix en fin de vente si les cotes obtenues au cours de la même vente ont été élevées, et si, donc, ses obligations envers le vendeur ont été remplies. Il peut ainsi récompenser l’assiduité d’un amateur et entretenir sa réputation d’expert qui fait faire des affaires. Il arrive ainsi à combiner ces deux rôles antagonistes de représentant du vendeur en même temps que celui de l’acheteur. Son attitude volontairement neutre, son effacement lorsque les enchères montent, le fait qu’il paraisse confiné dans un domaine technique et comptable alors qu’il est garant de l’authenticité, l’aident à assumer ces deux responsabilités.
LES VENTES SPÉCIALISÉES
44 En général, à Drouot-Richelieu, les ventes spécialisées ont lieu dans les deux salles du rez-de-chaussée et dans celles du premier étage. Spécialisées ne veut pas dire forcément avec des cotes très élevées.
• L’exposition

45 Dès onze heures, la veille de la dispersion, les amateurs se pressent dans la salle réservée par l’étude. Les objets sont disposés sur des socles ou posés par terre quand ils sont grands, tout autour de la salle, sur les cimaises et au centre. Quand ils sont petits et fragiles, ils sont à l’abri derrière des vitrines verticales. Plus petits encore, on les expose dans des vitrines plates. Au fond ou sur un côté de la salle, une table est installée où siègent le clerc de l’étude et la secrétaire de l’expert. On y vend les catalogues aux non-habitués – ils sont donnés gracieusement à ceux que l’expert connaît ou à ceux qui les demandent avec assez d’autorité pour faire croire qu’ils sont connus et intéressés – et on y répond aux demandes que font les clients sur les estimations si ces indications ne sont pas portées au catalogue.
46 L’ambiance est feutrée, les conversations assourdies. De petits groupes se forment qui échangent des saluts polis et des informations sur les objets et le marché de l’art en général. Les amateurs annotent le catalogue pour cocher le numéro d’un lot qui les attire et vérifient les informations données par le texte. Un objet est-il rare et mis sous vitrine centrale que les amateurs font un cercle admiratif et supputent ses chances d’atteindre ou de dépasser l’estimation avancée par l’expert. Pendant cette journée d’exposition, ce dernier pourra déterminer l’engouement pour tel ou tel objet au nombre de questions concernant l’origine, la rareté, les circonstances d’arrivée, en fonction desquelles, il fixera sa conduite lors de la vente. Si l’habitué est un client sûr et éprouvé, l’expert peut, pour renforcer son envie d’acheter, lui indiquer la profession du vendeur. Il répond aussi aux demandes concernant l’existence de prix de réserve autorisant le vendeur à faire retirer l’objet de la vente sans frais pour lui si les enchères n’atteignent pas le prix qui correspond à l’estimation basse qu’a fournie l’expert. Les futurs acheteurs n’aiment pas l’établissement de prix de réserve qui, à leur avis, brouille l’offre et la demande[19] [19] La fixation de prix de réserve trop élevés n’est jamais...
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47 Cette pratique de la réserve s’est particulièrement développée depuis les années 1970 où la vente aux enchères a été considérée comme une forme particulière de vente de gré à gré ; dans le cas où le commissaire-priseur n’obtenait pas la somme qui était convenue avec le vendeur, il pouvait retirer l’objet de la vente par plusieurs artifices. Le plus connu est l’adjudication à une personne physique ou morale fictive. Maître Maurice Rheims raconte dans ses mémoires qu’il avait un code : il attribuait la pièce au musée fictif de Saint-Gervais [1975]. De nos jours, le commissaire-priseur frappe la table de son marteau sans dire « Adjugé ! », ou se tourne vers le clerc ou l’expert chargé fictivement de transmettre des enchères en disant : « Monsieur X pour… ! » ou « Expert pour… ! ». Ceci ne permet pas au non-initié de voir s’il s’agit d’une vraie adjudication avant la publication des résultats de la vente dans la Gazette et a l’avantage de ne pas casser l’ambiance.
48 C’est surtout le jour de l’exposition que sont passés les ordres d’achat, moins au commissionnaire et au crieur qu’à l’expert et au clerc principal dans ce type de vente. Conciliabules entre habitués, conversations avec l’expert, va-et-vient moins pressés que d’habitude à Drouot, tout concourt à donner l’impression qu’un événement concernant un petit cercle se produira, impression gratifiante pour ces « membres » et source d’angoisse latente pour ceux qui n’en font pas partie. Dans certains cas, ce n’est que lors de la prise en main et dans sa bousculade que le choix se confirme.
• La prise en main

49 C’est seulement à ce moment-là que la majorité des assistants peut voir les défauts éventuels d’une pièce et surtout confirmer ou non son authenticité. La prise en main, nous l’avons vu, a lieu le matin même de la dispersion, de onze heures à midi, dans la salle d’exposition où aura lieu la vente. Il y a donc un choix délibéré d’instituer une unité de lieu pour le double changement (propriété et valeur) que subira l’objet.
50 La prise en main est un moment de transition pour les objets qui y perdront les dernières traces de leur identité passée : empilés et alignés, pressés dans des vitrines horizontales disposées du côté gauche de la salle, ils deviennent, pour un temps, des marchandises dont la fascination que leur donnaient l’éloignement et la mise en place s’est évanouie. Derrière les vitrines disposées comme un long comptoir, le clerc et les commissionnaires présentent les objets aux amateurs. Ici, pas de retenue comme la veille, on se bouscule pour approcher et palper. Bien souvent, les marchands qui n’ont pu se rendre la veille à l’exposition arrivent à ce moment pour se faire une opinion sur les objets, donner des ordres ou décider d’assister à la vente. À midi, les commissionnaires demandent fermement au public de quitter la salle. Pendant l’heure du déjeuner, ils doivent disposer l’estrade, la table de l’expert et les chaises.
• La vente

51 Un quart d’heure avant l’ouverture de la salle, le public attend en silence, à l’exception de quelques nouveaux initiés de Drouot se racontant des histoires de révision et de retraits pour montrer qu’ils sont des habitués et qu’ils ont le « droit » d’être là. On se bouscule légèrement pour entrer et s’asseoir à sa convenance. Sur leur demande, quelques amateurs se sont fait réserver des places dans les premiers rangs : là, ils voient mieux. Comme dans les ventes sans catalogue, les groupes sociaux se reconnaissent à leur disposition dans l’espace : les particuliers sont sur le devant, à des places fixes, le plus près de la sellette, les marchands locaux (brocanteurs, courtiers, galeristes) restent au fond, place propice aux ententes et aux départs en cours de vente car leur temps est compté (et aussi de mieux voir qui achète). Leur rassemblement au fond de la salle montre une communauté d’intérêt : ils sont là pour gagner leur vie et non pour assister simplement au spectacle auquel il leur faut participer. Dans les ventes d’arts premiers, les jeunes sont minoritaires, les femmes encore moins nombreuses. Sans être formelles, les tenues sont correctes, la cravate se voyant plus souvent chez les particuliers que chez les marchands, chez les galeristes plus que chez les courtiers, chez les personnes d’âge moyen plus que chez les jeunes ; en général, on voit aussi des commerçants établis à l’impeccable costume sombre et des jeunes marchands auxquels le blouson de cuir donne une allure décontractée.
52 On ne disperse pas les manettes en début de vente mais, dès l’entrée, des objets supposés être d’une certaine qualité. Ainsi tout en respectant les cultures et les provenances géographiques – l’Indonésie avant l’Afrique par exemple –, on commence par des objets de plus faible valeur marchande, puis on les fait alterner avec des objets plus onéreux pour enfin proposer ceux dont on attend des cotes élevées. La disposition des lots dans le catalogue compte beaucoup. Au tiers de la séance, on place un objet dont on sait qu’il intéressera un grand nombre d’amateurs et assurera le succès de la vente ; puis, à intervalles réguliers, d’autres pièces qui relancent l’attention.
53 C’est le professionnalisme du commissaire-priseur, s’appuyant sur le travail et la renommée de l’expert, ses connaissances du milieu et des objets, son aptitude à faire naître, puis disparaître l’incertitude qui fait participer ceux qui sont présents. L’assistance nombreuse, les duels au téléphone renforcent cette adhésion. L’ambiance dépend beaucoup de la façon dont le public perçoit et accepte la personnalité du maître des enchères. Certains commissaires-priseurs sont de remarquables acteurs : les voir taper du marteau est un véritable régal que le public apprécie. D’autres réclament en vain le silence, faute de savoir brillamment diriger l’orchestre. Cette ambiance dépend aussi de ce que les assistants sont prêts à admettre pour la créer. Les plaisanteries lancées du haut de l’estrade sont différentes de celles que l’on peut entendre dans les salles du bas : ici, on a plus de considération pour l’objet : « Ce n’est pas le prix des socles ! » « Il faut souffrir quand on commence une collection ! » Quoi qu’il en soit, le silence ne règne pour ainsi dire jamais. Les habitués se permettent d’aller près des vitrines pour voir et revoir les objets et les entrées et sorties s’accélèrent après 16 heures.
54 Le déroulement de la vente s’opère sur le même schéma temporel et spatial que celui des ventes sans catalogue. Après l’entrée du commissaire-priseur et l’annonce des conditions de la vente, les objets arrivent de l’arrière-salle ou du côté gauche de la salle sur la table située à la droite du commissaire-priseur. L’expert les prend, les examine à nouveau et les décrit brièvement en signalant leur état général, voire leurs défauts qui seront consignés dans le procès-verbal de la vente ; le col-rouge les montre à l’assistance ; quand ils sont grands, ils sont posés sur une sellette tandis que l’expert annonce le prix de départ des enchères : « Commençons à 2 000 F ! » Les propositions sont recueillies par le commissaire-priseur à partir de signes de main ou de simples hochements de tête quand on s’approche de la conclusion. L’objet est adjugé au mieux-disant et repart vers l’arrière-salle. À ce moment, le crieur qui relaie ponctuellement le commissaire-priseur dans la prise et la proclamation des enchères apporte le bulletin d’adjudication que l’acheteur devra montrer lors du règlement. Ainsi, le coup de marteau annule les droits de l’ancien propriétaire, et le nouveau doit payer le prix de l’adjudication augmenté des frais pour entrer dans ses droits. Les objets qui n’ont pas trouvé preneur retournent à l’étude et leur destin est variable.
55 Puisque toutes les ventes se déroulent selon ce canevas, assister aux petites ventes avec catalogue constitue un excellent apprentissage pour les « grandes ventes », les ventes de prestige : on y perce les mystères de la visite à l’exposition, on y vit le moment de l’ouverture des vitrines, on y apprend le déroulement de la vente proprement dite, on y comprend le rôle de tous les personnages officiels et surtout on s’y familiarise avec l’ambiance des enchères, cette atmosphère grisante et dangereuse. Enfin, l’intérêt de ces petites ventes n’est pas négligeable à qui veut se faire connaître du monde de l’hôtel des Ventes.
56 Sans que leur structure soit fondamentalement différente, les « grandes ventes » se distinguent des précédentes par la « solennisation » de l’événement et le luxe qui l’entoure. À cet égard, on peut parler de manipulation de tous les traits de distinction qui font reconnaître à quel public la vente s’adresse. On active tel ou tel réseau de circulation des objets afin d’indiquer quels sont les collectionneurs concernés. Et pourtant les grandes ventes sont attendues par l’ensemble des amateurs, davantage encore quand il s’agit de la dispersion d’une collection prestigieuse ou d’objets issus de plusieurs collections renommées[20] [20] Les collectionneurs et les marchands n’apprécient guère...
suite.
• Les grandes ventes

57 Dans les journaux spécialisés du monde de l’art et dans les pages magazine des quotidiens qui annoncent les grandes ventes plus de trois mois à l’avance, on a pu lire l’histoire des collections dispersées, l’expert interrogé a donné les estimations des plus belles pièces. Une photographie soigneusement choisie illustre l’entretien.
58 Le catalogue vient confirmer le sentiment que l’on va assister à une vente d’exception ; celle qui verra une dispersion d’objets remarquables auxquels pourront prétendre les amateurs les plus fortunés. Tout est fait pour que ce catalogue devienne un objet de bibliographie : son format (21,5 × 27,5 cm), semblable ces dernières années à celui des autres catalogues publiés lors d’occasions identiques ; son épaisseur, jamais beaucoup moins que le centimètre ; sa couverture qui montre un objet en majesté en dessous du nom de l’étude et parfois l’indication du nom du collectionneur. À la couverture en couleurs répondent le papier glacé et les très nombreuses illustrations : plus de trois objets sur quatre sont reproduits et les plus remarquables le sont sous divers angles. À la photographie révélant tous les détails de la pièce correspond une notice très fournie identifiant l’objet, son aire géographique et la culture dont il est issu, sa composition, sa patine, ses dimensions. Une description de plus en plus précise au fil des années précède ou suit la provenance avec le pedigree[21] [21] Le pedigree est la liste des propriétaires successifs de...
suite, un certificat d’authenticité délivré par un chercheur ou un expert international, un éventuel certificat de thermoluminescence et une bibliographie renvoyant à des objets semblables décrits et photographiés dans d’autres ouvrages. Parfois, on indique le nom du socleur quand cette indication confirme l’ancienneté de la pièce[22] [22] Les socles d’Inagaki sont célèbres et leur auteur n’a...
suite. Plus l’objet est présenté comme exceptionnel, plus son estimation est élevée, plus les dimensions de la photographie qui l’accompagne sont importantes, allant jusqu’à occuper une page entière voire plus, tout comme la notice d’accompagnement. Quand les catalogues n’étaient pas entièrement en quadrichromie, seuls les objets les plus estimés en bénéficiaient afin de mieux être signalés.
59 Souvent la préface explique l’importance de la collection et des objets, les circonstances de leur découverte puis leur entrée dans une collection. Une carte du continent d’où proviennent les pièces avec l’indication des ethnies et des cultures figure parfois dans le catalogue, confortant l’apparence qu’on souhaite lui donner d’un ouvrage scientifique doublé d’un livre d’art. Il servira mieux ainsi d’objet-souvenir pour ceux qui n’ont pu assister à la vente ; convenablement annoté pendant celle-ci, il gagnera le statut d’objet de collection pour ceux qui étaient présents, même s’ils n’ont rien acheté.
60 Les commissaires-priseurs « modernes » ont été les premiers à appliquer cette accumulation de signes de distinction présents dès le catalogue, devenue la règle pour les autres. Par le choix de ces éléments et par un envoi judicieux, le catalogue permet d’avertir la future clientèle (ceux qui pourront acheter) mais aussi et surtout de composer l’assistance de la vacation, « une assistance spéciale pour un événement spécial ». L’exposition en avant-première à l’étude sera parfois suivie d’un cocktail offert aux amateurs connus par l’expert, événement mondain qui situe bien la frange du public à laquelle s’adresse le commissaire-priseur. Toutefois, là n’est pas le seul but de la réunion qui est en fait de rendre tangible la concurrence qui s’exercera lors de la dispersion, de souligner le côté exceptionnel de la future réunion et de préfigurer la fête que sera la vente avec sa prodigalité et ses offres extrêmes.
61 Le choix de la salle dans laquelle la vente se déroulera fait partie des traits qui permettent à l’amateur, sans même voir le catalogue, de savoir quel est le niveau des prix attendus pour les objets mis en vente. Dans un petit opuscule, À la découverte de Drouot, guide pratique, publié en 1996, la Compagnie des commissaires-priseurs de Paris précisait que les deux salles de Drouot-Montaigne, inaugurées en 1988 et situées dans une avenue peut-être la plus élégante de Paris, sont consacrées aux ventes sortant de l’ordinaire. Jadis, le palais Galliera et l’hôtel George-V, et ce sont toujours des lieux possibles quand Montaigne n’est pas disponible, jouaient ce rôle par leur implantation et leurs prestations luxueuses, en lieu et place de la rue de Richelieu étroite et bruyante, aux boutiques présentant des objets et des meubles qui ne relèvent pas strictement du grand commerce. Cependant, à Richelieu comme à Montaigne, le côté économique de la vente n’est pas oublié : on installe un grand panneau électronique où s’inscriront en monnaies étrangères (France, États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Japon, Suisse) les enchères au fur et à mesure du déroulement de la vente : le public international pourra suivre et participer commodément à l’action.
• L’action

62 Le soir de la vente (ou plus rarement l’après-midi), la salle est remplie d’amateurs, de marchands et de courtiers d’Europe et d’outre-Atlantique. Les couples y représentent un tiers du public. Les marchands et les courtiers viennent seuls. Quelquefois, ils accompagnent un de leurs clients qu’ils assisteront dans l’achat de un ou de plusieurs lots : par leur connaissance du marché et leur sang-froid professionnel, ils les empêcheront de commettre des erreurs telles que celle de poursuivre des enchères au-delà du raisonnable. Les antiquaires étrangers présents, eux, profitent de l’occasion pour aller voir les galeries de la capitale et se rendre aux rendez-vous pris à l’avance avec leurs collègues français. Leurs conversations portent sur les ventes et les achats qu’ils ont réalisés au cours des semaines précédentes, et les sommes annoncées sont toujours données en monnaie américaine pour bien signaler l’internationalisation du marché des arts premiers et la puissance financière de ceux qui les collectionnent.
63 À la droite du commissaire-priseur, la table est beaucoup plus longue que lors d’une vente spécialisée à Drouot-Richelieu. Plusieurs téléphones y sont disposés. Ils serviront à entrer en contact avec les amateurs qui, en raison de l’importance des sommes mises en jeu, voudront, tout en restant anonymes, intervenir en personne et non pas par ordre d’achat. Parfois une seconde table, placée à angle droit à la gauche du commissaire-priseur reçoit encore un ou plusieurs téléphones. Tout ce décor laisse entendre que les enchères seront disputées et que malgré l’importance des sommes mises en jeu, il faudra réagir rapidement.
64 Les assistants et l’expert – il officie parfois avec un ou deux de ses collègues, leur nombre étant en proportion directe avec l’importance de la vente et avec l’impression qu’elle doit faire sur le public – prennent place et à l’heure exacte, le commissaire-priseur ouvre la vente en rappelant les conditions d’usage. L’observation précise de l’heure comme dans une corrida ou lors d’une cérémonie religieuse indique que c’est moins l’assistance qui a besoin du rituel de la vente que le personnel de l’étude ainsi que le vendeur que celle-ci est censée défendre.
65 Il y a une autre différence avec les autres ventes : les objets ne sont pas entassés comme de vulgaires marchandises. Chaque lot vient des coulisses, apporté avec précaution par un commissionnaire dont l’uniforme dénote qu’il est investi d’une responsabilité officielle. La pièce est disposée sur une sellette sous l’œil d’une caméra qui projette son image agrandie afin que le public des deux salles puisse la voir en détail. Enfin l’expert décrit l’objet mis en vente mais ne le touche pas : celui-ci est offert à la communauté présente. Il ne s’agit donc plus d’un banal acte d’échange concernant un banal artefact : à cette occasion, un objet « unique » pourra peut-être entrer dans votre collection.
66 Le mécanisme des enchères reste le même, le commissaire-priseur reprenant le prix d’estimation lancé par l’expert et relevant avec l’aide du crieur les propositions des enchérisseurs. Il précise où se trouve la dernière enchère quand il y a plusieurs amateurs en lice : « À vous monsieur ! Plus à nous ! Contre nous ! Sur ma droite [quand il reprend une enchère émise au téléphone] ! » Ces précisions sont nécessaires pour légitimer l’énoncé des chiffres, la salle connaissant la pratique des enchères fictives (ce que les brocanteurs appellent « bourrer les enchères ») afin d’atteindre le prix demandé par le vendeur. Toujours pour éviter cette accusation, le commissaire-priseur dira au crieur qui remet le bulletin d’adjudication : « C’est à madame qui a déjà acheté, à monsieur qui est connu. »
67 Pour prévenir le commissaire-priseur qu’il est en train d’enchérir, l’amateur lève le bras et poursuit la montée de l’enchère par un très discret hochement de tête. S’il refuse de suivre, il fait un signe de dénégation avec la tête ou avec la main. Parfois il hésite et le commissaire-priseur revient à la charge avec courtoisie. Quand aucun surenchérisseur n’intervient, il annonce : « Personne ne couvre l’enchère ? C’est bien vu ? J’adjuge à… ! » L’objet repart dans les coulisses et l’heureux acquéreur (au sens de victorieux) reçoit le bulletin prouvant qu’il a bien émis le dernier prix et que celui-ci a été accepté pour l’adjudication.
68 Le tempo des enchères varie toujours entre 60 et 80 lots vendus par heure, mais il est inégal. La durée d’une adjudication varie avec l’intérêt suscité par le lot proposé, la valeur d’estimation donnée par le public et le nombre d’amateurs prêts à payer un certain prix. L’usage du téléphone ralentit le rythme, de sorte que la durée entre l’annonce de l’expert et le fatidique « Adjugé ! » du commissaire-priseur varie et peut s’allonger lorsque deux amateurs aussi décidés et fortunés l’un que l’autre s’affrontent et qu’aucun ne veut céder.
69 Le commissaire-priseur se révèle ici maître du temps dont il exprime la relativité : s’il adjuge rapidement un lot relativement bon marché pour engager les assistants à se lancer dans la bataille, il ralentira la formulation des enchères pour une belle pièce rare et convoitée, il personnalisera le prix d’enchère en faisant porter sur l’amateur l’interrogation de la salle. Quand, enfin, il voit qu’il n’obtiendra pas davantage, il prendra tout son temps pour signaler d’un coup de marteau la fin de la joute. Un record est-il battu ce jour-là que l’assistance applaudit le courage et la ténacité du vainqueur, la performance du commissaire-priseur qui a su l’encourager et aussi le haut chiffre de l’adjudication qui fera, en quelque sorte, jurisprudence pour un temps.
70 C’est seulement à la fin de la vente ou le lendemain que les acquéreurs régleront leurs achats en toute confidentialité. L’argent ne circule pas matériellement de façon ostensible dans ces ventes de prestige. Le crieur délivre le bulletin d’adjudication sans toujours exiger (ce qui est la règle ailleurs) une garantie sous forme de chèque signé car, officiellement, tout le monde se connaît ; en réalité, on se doit de montrer une confiance totale aux acheteurs puisqu’ils sont du même monde, celui d’une élite de la connaissance et du goût et celui de l’origine sociale, qu’ils y appartiennent directement par la collection ou indirectement par le négoce d’antiquités. Dans ce milieu, on sait contrôler ses émotions : si forte qu’en soit l’envie, on ne garde pas un objet avec soi à l’issue de l’enchère, on remet à plus tard le plaisir de le prendre en main, loin de la foule.
• Public et communauté d’enchères

71 Le moment est venu de parler de la communauté d’enchères indispensable pour qu’une vente s’effectue de façon satisfaisante en créant un consensus sur la valeur et l’attribution et qui se trouve confirmée par l’incertitude sur les résultats de l’adjudication. Nous sommes loin des échanges marchands professionnels où pour faciliter les transactions duales, un certain nombre de procédures orales ont été mises au point afin de protéger l’activité, par exemple la parole des marchands. Pourtant ici comme là, les objets qui circulent ne sont pas simplement des marchandises. Ils créent du lien social en raison de leur histoire et de leur place dans la hiérarchie des biens matériels, là, culturels ici et de leur capacité d’action, fruit d’une construction sociale [Quémin, 1993].
72 Qu’en est-il dans ce cas précis ? À l’inverse des autres types de ventes aux enchères, ce n’est pas le commissaire-priseur qui la crée, même assisté par son crieur dont la présence nécessaire ailleurs par la taille des salles, l’importance de l’assistance, la discrétion du public se justifie ici par la distance sociale importante des participants. Elle existe déjà par les savoirs et les intérêts partagés ; en témoignent le langage, l’allure extérieure, la façon de tenir son catalogue, de s’en servir en l’annotant : le public connaît la provenance exacte des objets et pratiquement tous les assistants, avant l’ouverture de la vente, peuvent les placer sur une échelle exacte de valeur. La vente de prestige réaffirme une communauté préexistante qui se voit confier une mission temporaire.
73 Là, pourtant, n’est pas l’intérêt principal de la grande vente. Elle n’est pas seulement une occasion de redistribution des biens. Elle est le couronnement en public du collectionneur qui a réuni ces objets par ses efforts et ses sacrifices : elle récompense devant tous, matériellement et symboliquement, son œil et son goût. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’une vente a été réussie, non pas tant grâce au montant des enchères que par la qualité de l’assistance et le retentissement de la manifestation dans le monde des arts en général ? Les collectionneurs reconnus et les marchands, du simple courtier à l’antiquaire de haute volée qui a traversé l’Atlantique pour être présent et acquérir quelques pièces rares, se saisissent de l’occasion pour goûter au plaisir de se retrouver entre soi et d’y ajouter celui de se donner en représentation lors d’une activité gratifiante, celle de conférer une valeur nouvelle à de beaux objets tout en les admirant. En regard de l’ambiance de sociabilité bourgeoise [Quémin, 1997], on se laisse bercer par l’impression grisante de participer à une action militante en faveur d’arts découverts récemment en leur attribuant des valeurs accrues. C’est pour toutes ces raisons que l’on ne doit pas rater ces « grand-messes », indispensables à la fois aux objets et à ceux qui les admirent.
74 Les études connaissent ces motivations et tentent de monter au moins une fois par an une de ces ventes en dépit du fait qu’elles sont fort coûteuses à organiser parce qu’elles apportent autant de profit comptable que de prestige et qu’elles attirent de nouveaux clients. Les résultats ne sont pas alors simplement rapportés dans les revues spécialisées et dans les autres journaux d’art, à la rubrique « Marché de l’art », ils sont magnifiés dans les quotidiens sous le titre « Record battu ! ».
75 On a écrit que la communauté d’enchères aux ventes d’antiquités était lâche et temporaire [Smith]. Cette remarque s’applique partiellement aux ventes d’antiquités préhispaniques que l’on ne voit presque plus à Montaigne (la dernière vente a eu lieu en décembre 1995). Les amateurs d’art précolombien ont un comportement réservé et même secret pour plusieurs raisons : la légitimité ancienne des pièces, la pratique séculaire de la collection, les cotes moindres et surtout, aujourd’hui, la politique de protection que pratiquent les États d’où proviennent les objets. En revanche, aux ventes de prestige d’art africain et océanien, toujours très attendues, tout le monde se connaît et se revoit en d’autres circonstances.
76 Mais qu’il s’agisse de la modeste vente sans catalogue où tout doit être vendu, de la vente spécialisée où l’on souhaite obtenir une correspondance effective entre les prix obtenus et ceux des cours déjà établis, partout, l’accès à la salle des ventes est permis à tous et, cela va sans dire, à ceux qui font partie du monde de la collection[23] [23] Ce n’est pas le cas dans le monde anglo-saxon où il faut...
suite. Seules variables, les savoirs relatifs à la connaissance des objets et l’intérêt pour tel ou tel type de pièce ainsi que le temps et les moyens dont on dispose. En France donc, tout le monde peut assister à ces ventes et y enchérir et ainsi se sentir l’égal des autres. C’est bien sûr une égalité formelle, comme le prouve l’instauration de la folle enchère[24] [24] Si un acheteur ne peut pas payer le bien qu’il a acquis,...
suite. Les inégalités dues à la fortune persistent et prennent même une consécration neuve par le pouvoir que l’achat octroie. L’important dans une vente, ce n’est pas de participer mais de gagner en emportant le lot. En outre, si le spectacle est gratuit, il aura déjà fallu investir en temps et en efforts pour le trouver digne d’être regardé.
77 Il n’y aurait donc pas de surprise réelle dans une vente aux enchères, même quand l’envie est plus forte que la raison ou quand un duel opposant deux amateurs pour des raisons de concurrence ou de prestige fait monter les prix plus haut qu’il n’a été prévu et parfois à des tarifs qui paraissent déraisonnables ? Alors qu’est-ce qui explique la fascination qu’exerce cette forme de vente en général (et pas seulement la vente de prestige) ?
78 Avant tout, selon l’avis général des assistants qui s’accordent sur ce point, la vente publique est un spectacle qui donne à voir et apporte toutes les émotions : on y rêve, on y espère, on y est déçu ou récompensé. Les actions sont rapides, bâties sur le même modèle mais jamais identiques. On assiste à des duels, à des coups de théâtre quand par exemple à l’issue d’une lutte opiniâtre, le représentant du ministère de la Culture se dresse pour exercer la préemption au nom de l’État. On y sent circuler l’argent : plus la somme en jeu est élevée, plus l’émotion du public est palpable. Les marchands y font des affaires ou comptent en faire selon le type de vente. En revanche, les collectionneurs ne vont jamais à une vente publique pour des raisons économiques ; laissant cette préoccupation aux professionnels, ils veulent trouver l’objet de leurs émotions et seulement celui-là.
• La vedette de la représentation

79 Que se passe-t-il réellement dans cet univers clos de la vente, sans fenêtres ni horloges ? Abandonné par le caprice, la nécessité ou la mort de son propriétaire, l’objet quitte le domicile de l’amateur pour rejoindre, parfois après quelques péripéties, les réserves de l’étude du commissaire-priseur. Là, il sera identifié, décrit, quelquefois photographié, mais aussi affecté d’un numéro qui le réduit à une quasi-abstraction, celle de la marchandise. Lors des expositions à l’étude et à la salle des ventes, il achèvera un parcours qui le conduit du privé au public pour retourner finalement au privé, l’objet redevenant au cours d’un processus dirigé par le commissaire-priseur une marchandise convoitée.
80 Après l’accord sur l’objet, l’accord sur le prix. Pour que le lot appartienne vraiment à son nouvel acquéreur, il lui faut passer par d’autres procédures qui se déroulent selon un schéma spatio-temporel où la chute du marteau d’ivoire signifie seulement que la mise aux enchères est éteinte et que la victoire reste au dernier enchérisseur. Avec ce coup de marteau et l’échange du bulletin, on perçoit toute l’importance des signes matériels et des trajets pour indiquer ces changements d’état. Le commissaire-priseur rompt les derniers liens de l’objet (devenu marchandise) avec son dernier propriétaire et désigne à l’aide de son marteau, emblème de son office, héritier de la verge d’autorité des huissiers du XVIe siècle [Rémy, 1995] le vainqueur du « tournoi », celui qui a gagné le droit d’être le nouveau possesseur. Cet acte doit être complété par l’accord du client. C’est là qu’interviennent la rédaction et le cheminement du bulletin d’adjudication : celui-ci qui représente l’objet, très exactement, permet à l’acquéreur de donner définitivement son accord à la transaction quand les autres concurrents ont été éliminés ; avec le versement de la somme requise, il échange le bulletin (rappelons que l’adjudication est un acte essentiellement juridique) contre le bordereau d’achat, autrement dit la facture. L’objet, la vedette de la représentation, est à lui définitivement.
81 Avec le marteau d’ivoire, emblème de son autorité et dont il s’est servi au cours de la vente pour désigner d’abord l’objet à vendre, puis les différents enchérisseurs lors de la compétition pour le lot, le commissaire-priseur donne à voir l’origine des offres et dénoue les liens avec l’ancien propriétaire. Jacques Rémy qui s’est beaucoup intéressé aux encanteurs nord-américains et aux crieurs sarthois de vente à la ferme rappelle très justement les mêmes procédures symboliques en usage dans l’Antiquité où lorsque le questeur touchait un esclave de sa baguette, il annulait les attaches serviles de celui-ci et transformait l’esclave en homme libre et la « chose » en sujet. On retrouve ces mêmes procédures associées dans le « Tope-là » des marchands de bestiaux, la tape dans la paume bien connue où « tope » indique le défi et le danger inhérents à chaque acte d’échange mais en même temps sa conjuration car il s’effectue la paume ouverte ; on les reconnaît encore lors de la conclusion des arrangements entre diamantaires anversois qui accompagnent leur tape dans la main du vocable hébreu mazel (« chance »). Ces pratiques coutumières qui expriment en même temps qu’elles les réalisent des actes juridiques encadrant l’échange ne leur sont pas forcément préexistantes. Elles indiquent simplement la volonté de contrôler les actes indispensables à la perpétuation de la vie sociale et on les trouve dès qu’il est question de propriété et de commerce puisque ce dernier transfère les propriétés.
82 La salle des ventes où se déroule une pratique très ancienne et très codifiée est un lieu où les objets se donnent à voir lors de leurs mutations. Elle met en scène les changements de propriété et de valeur. Pour participer à l’action, il faut connaître le mode d’emploi et celui-ci nous confirme que les sociétés humaines ritualisent tous les moments importants de leur existence : l’échange en fait partie. La salle des ventes nous apprend aussi que s’il n’existe pas de rapports sociaux sans la médiation des objets, ceux qui accompagnent le transfert de ces derniers sont caractérisés par la fluidité et l’instabilité, propres à nos sociétés actuelles qui prônent l’individualité mais gardent la nostalgie d’autres modes de vie. Son observation conforte également les réflexions sur la société du spectacle dans laquelle nous vivons, sur la croyance forte au hasard couplée avec la pratique d’une concurrence extrême. Dans le cas du collectionneur de pièces des arts premiers, actuellement sous les feux de l’actualité, elle occupe une place essentielle dans son activité et dans l’espace qui lui est associé. L’amateur n’y acquiert pas seulement des objets dont la légitimité culturelle serait assurée par le passage par la salle des ventes, il se rassure sur son identité de collectionneur et sur la réalité du monde auquel il appartient. ■
83 * Je remercie M.-C. Commère, documentaliste de la Compagnie parisienne des commissaires-priseurs, et Jacques Rémy, sociologue. Ma gratitude va également à B. Dulon pour sa lecture attentive.
BIBLIOGRAPHIE
Références bibliographiques

BECKER Howard, 1983, « Mondes de l’art et types sociaux », Sociologie du travail, 4 : 404-417.
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– 1997, Les commissaires-priseurs : la mutation d’une profession, Paris, Anthropos.
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– 1995, « Le cercle enchanté des ventes aux enchères », Ethnologie française, 4 : 562-578.
RHEIMS Maurice, 1975, Haute curiosité, Paris, Laffont.
SMITH Charles, 1989, Auctions. The Social Construction of Value, New York, The Free Press.

 
NOTES
[ 1] On utilise ici le terme « monde » dans le sens que lui a donné Howard Becker à propos des mondes de l’art : un ensemble d’individus et d’organisations dont l’activité est nécessaire pour produire les événements et les objets qui sont caractéristiques de ce monde.
[ 2] L’expression « arts premiers » désigne ici, sans vouloir entrer dans les controverses que ce terme a suscitées, les arts issus des sociétés lointaines conquises par les Européens depuis le XVIe siècle.
[ 3] Drouot est le terme sous lequel on désigne l’hôtel des Ventes régi par la compagnie des commissaires-priseurs de la capitale, d’après la rue où il s’est installé en 1852.
[ 4] En 1994, il existait 459 commissaires-priseurs officiant dans 318 études ; à Paris, 110 sont réunis dans 61 études.
[ 5] Ce terme est toujours en usage au Québec.
[ 6] Monopole qui prendra fin en l’an 2001 pour des raisons de conformité à la législation communautaire organisant la concurrence.
[ 7] La prisée est toujours pratiquée de nos jours sous ce terme.
[ 8] En 1997, les USA avec 7,3 milliards de francs de chiffre d’affaires monopolisaient 49,9 % des ventes mondiales. La France réalisait un chiffre d’affaires de 834 millions de francs soit 5,70 % du marché mondial.
[ 9] Ce sont les seules qui sont conservées dans les archives de la Compagnie des commissaires-priseurs parisiens.
[ 10] Ils sont 110 à porter le bourgeron de satinette noire dont le col rouge porte leur numéro d’affiliation à l’Union des commissionnaires de l’hôtel des Ventes. Ils assurent le monopole du service de transport et de manutention des objets vendus à Drouot et ils peuvent aussi recevoir des ordres d’achat. Ils sont liés à la Savoie directement ou par alliance [Lemonnier, 1980].
[ 11] La révision est une entente entre marchands : un seul enchérit pour ne pas faire monter le prix de l’objet et celui-ci est remis en vente dans le groupe d’entente ; faute d’avoir pu obtenir l’objet par une offre élevée, les concurrents malheureux se partageront la différence entre le premier prix d’achat et le second ; illégale, cette pratique est néanmoins très répandue.
[ 12] Le crieur payé à la vacation a appris son métier sur le tas et il est issu d’une famille pratiquant déjà cette activité.
[ 13] « Partir à la chine », c’est partir sans indication de lieu à la recherche d’objets ou d’occasions de vente.
[ 14] En argot de métier, la drouille désigne la marchandise sans intérêt.
[ 15] Parce qu’il appartient à la fois au monde de l’écrit et au monde de l’art, le catalogue est déposé dans les centres de documentation et aussi, au titre du dépôt légal, à la Bibliothèque nationale de France et dans d’autres bibliothèques.
[ 16] Les experts sont d’ailleurs assurés en cas d’erreur.
[ 17] Il est bien connu qu’un objet photographié obtiendra toujours un prix plus élevé qu’un objet semblable non photographié d’où la boutade d’un commissaire-priseur au cours d’une vente ordinaire à propos d’un objet pour lequel les enchères ne montaient pas assez vite : « Je vous le mettrai dans une vente spécialisée et avec photo ! » Sous-entendu très clair pour les assistants, aucun marchand présent ne pourrait plus alors l’acheter car le prix aurait considérablement augmenté.
[ 18] Pour une vente qui s’était déroulée en juin 1996, on a pu calculer que l’expert désigné avait perçu une rétribution horaire de 212 F.
[ 19] La fixation de prix de réserve trop élevés n’est jamais aussi fréquente qu’au début des années de crise quand les vendeurs se fixent sur les cotes obtenues lors des années de haut prix ou sur le prix d’achat de leurs objets.
[ 20] Les collectionneurs et les marchands n’apprécient guère les « ventes fabriquées », c’est-à-dire celles qui relèvent de pratiques commerciales pures et qui passent par Drouot dans l’espoir d’obtenir de meilleures cotes que dans les ventes de gré à gré, voire afin d’ajouter au pedigree une ligne de plus.
[ 21] Le pedigree est la liste des propriétaires successifs de l’objet et des circonstances qui ont précédé son arrivée en Occident.
[ 22] Les socles d’Inagaki sont célèbres et leur auteur n’a travaillé qu’entre les deux guerres.
[ 23] Ce n’est pas le cas dans le monde anglo-saxon où il faut présenter des garanties et décliner son identité avant de recevoir le badge qui permettra d’enchérir.
[ 24] Si un acheteur ne peut pas payer le bien qu’il a acquis, celui-ci est immédiatement remis en vente et le premier acquéreur paiera la différence entre les deux cotes si la seconde n’atteint pas la première.
RÉSUMÉ
La vente aux enchères est une pratique sociale qui mêle l’économique au symbolique, le rationnel à l’émotionnel, l’individuel au collectif. Le lieu où elle est organisée et les représentations qu’elle abrite touchent très fortement aux spécificités, à l’existence et à la perpétuation des différents « mondes de l’art ». La démonstration en sera faite pour les collectionneurs d’arts premiers.
Mots-clés

collectionneur, art, enchère, reproduction sociale, arts premiers


Auction sale is a social practice that combines economic with symbolic, rational with emotional, individual with collective. The place where it is organized and the representations it conveys is very strongly connected with the specificities, the existence and perpetuation of various « worlds of art ». This is demonstrated on the example of primitive art collectors.
Keywords

Collector, art, Auction, Social reproduction, Primitive arts

Auktion ist eine gesellschaftliche Praxis, die das Wirtschaftliche mit dem Symbolischen, das Rationale mit dem Emotionalen, das Individuelle mit dem Kollektiven mischt. Das Ort, wo sie organisiert wird und die Vorstellungen, die sie beinhaltet, sind mit den Spezifizitäten, dem Bestehen und Fortbestehen der verschiedenen « Kunstwelten » eng verbunden. Dies wird am Beispiel der Sammler primitiver Kunst gezeigt.
Stichwörter

Sammler, Kunst, Auktion, Soziale reproduktion, Primitive kunst
PLAN DE L'ARTICLE
Qu’est-ce qu’une vente aux enchères ?
Deux types de vente
Les ventes sans catalogue ou la récompense de l’assiduité
À chacun sa partition
Les ventes avec catalogue ou la confirmation de l’excellence
L’expert, garant de l’authenticité et de la valeur
Les ventes spécialisées
• L’exposition
• La prise en main
• La vente
• Les grandes ventes
• L’action
• Public et communauté d’enchères
• La vedette de la représentation

POUR CITER CET ARTICLE
Rolande Bonnain-Dulon « Enchères et émotions », Ethnologie française 3/2001 (Vol. 31), p. 511-526.
URL : www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2001-3-page-511.htm
DOI : 10.3917/ethn.013.0511.



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