Sculpture
dédiée à Gou, divinité du fer travaillé et de la guerre
Œuvre
en fer de 168cm de hauteur réalisée avant
1858 par Akati Ekplékendo
Actuelle
République de Bénin
Lauren Papet, Ecole du Louvre
Arrivée
dans les collections françaises et problèmes d’identification
Cette statue a été rapportée en
France en 1894 par le capitaine Eugène Fonssagrives à la suite de la conquête
du Dahomey. Elle appartenait au butin de guerre découvert dans le palais
d’Abomey, délaissé par le roi Béhanzin en fuite, qui l’avait lui-même peut-être
apportée sur la côté en prévision de l’attaque française, dans l’espoir que la
divinité aiderait à protéger le royaume sur sa frontière la plus vulnérable.
Elle fut ensuite directement donnée au musée d’ethnographie du Trocadéro,
actuel musée de l’Homme (enregistrée le 30 avril 1894).
Tout d’abord Fonssagrives l’a
présentée comme était une représentation d’Ebo, dieu tutélaire d’Ouidah ; thèse réfutée par Maurice Delafosse en
1894, qui indique que la divinité d’Ouidah n’est pas Ebo mais le serpent Dan.
Le nom « Ebo » aurait donc sans doute été la réponse donné à
Fonssagrives quand il a demandé ce qu’était l’objet (Bo signifiant réceptacle
de forces surnaturelles). Elle ne fut nommée Gou, son nom actuel, qu’après la Seconde Guerre Mondiale, sa
ressemblance avec le vodun (dieu) du fer et protecteur de la forge, du métal et
de la guerre ayant été considéré comme assez évidente.
Réalisation
technique
Gou présente aussi une diversité
de techniques de travail du fer : forgé, laminé, martelé, cloué et riveté.
Le métal utilisé est constitué de ferrailles d’origine européenne (rails,
barres de fer, boulons, fers d’esclaves etc.). Il a été travaillé en feuilles
relativement fines en surface – particulièrement pour la face et la tunique –
sur une structure interne qui donne à la statue sa raideur. Elle est attachée à
un socle métallique et porte un chapeau rond fixé par un boulon auquel
s’accroche une chaîne terminée par cloche. Il semblerait que ce soit un chapeau
à sacrifices, ou asen – autel
métallique portatif destiné aux âmes des défunts – permettant à la statue de
recevoir des libations et des sacrifices (Delafosse y a lui-même remarqué des
traces de sang).
Fonctions
de cette statue
Cette statue était exposée à
Abomey, dans un sanctuaire militaire situé dans l’enceinte du palais. Elle
était entourée d’un cercle d’épées et de machettes plus grandes que nature,
plantées dans le sol (conservés aujourd’hui au musée d’Abomey) et de roches
servant de polissoirs et d’aiguisoirs (symbolisant la pérennité du royaume). En
tant que bocio (figure protectrice),
elle était supposée procurer au souverain la victoire militaire et protéger les
soldats de leurs ennemis : on déposait des offrandes à ses pieds avant
tout bataille importante. Diverses matières magiques insérées à sa surface lui
donnaient une puissance religieuse.
Elle avait une fonction
religieuse mais également une fonction politique. Elle était destinée à
recueillir les promesses d’action et les défis proclamés par les guerriers lors
des départs en campagne. A cette occasion, le bâtiment était nommé la
« maison de la colère » (adanjeho).
La statue et les armes avaient été commanditées par Glélé aussitôt après son
accession au trône et furent exposées pour la 1e fois lors des
cérémonies commémoratives en l’honneur de son père Guézo. De plus, Gou est une
divinité rattachée au signe divinatoire du roi Glélé, dont un des noms-devisesétait "Basa
le Courageux, a donné naissance à Gu, la vengeance sera assurée" :
c’est une figure étroitement lié à la personne de Glélé.
Or Gou est conçu dans la cosmogonie fon comme un
principe de fonctionnement qui ne s’incarne pas en un élément individualisé.
Ses autels consistent en une motte de terre, située dans la cour des maisons
béninoises, sur laquelle on dépose tout le métal que l’on peut trouver (boulons
ou clefs par exemple). Gou détient les
clés de la violence, ses adeptes en seront donc protégés.Akati
Ekplékendo rompt donc avec la tradition en traduisant ce concept dans un
personnage doté d’attributs particuliers.
Les
objets de Gou : une histoire mouvementée
Gou est pieds nus et, hormis son
couvre-chef, il n’est vêtu que d’une tunique évasée (kansawo), recouverte d’une légère couche grumeleuse. La tunique est
confectionnée à l’aide de deux feuilles de métal, et l’ampleur nécessaire est
rendue, pour chaque feuille, par trois lés évoquant le travail des tailleurs
(on conserve des exemplaires de ce type de vêtement).
Le chapeau est constitué d’un
plateau hérissé de 11 instruments miniatures en fer qui rappellent la diversité
des attributions de la divinité :
- agricole avec la houe
- guerrière avec la lance, le sabre, le goubasa et le poignard ataklé maxi (les Maxi ou Mahi vivent au
nord d’Abomey)
- piscicole avec l’hameçon
- religieuse avec le serpent ondulant Dan et la hache du
tonnerre Hébiosso confirmant ainsi la proximité de Gou avec le vodun
Jean
Tornay note que le fusil de traite, pourtant répandu au royaume du Danhomey dès
le 19e siècle manque à cet ensemble. Il indique que le fusil était
peut-être pour l’artiste l'arme des chasseurs plutôt que celle des guerriers,
ou alors qu’il a écarté le fusil car dans son esprit, Gou ne devait être
redevable de rien aux étrangers.
1. sosivi : la hache de Hèbioso, dieu du tonnerre. La forme
de cette hache est apparentée à celle des Oshe Shango (dieu Yoruba de la
foudre) des Yoruba (statuettes de jeunes filles dont la tête est coiffée
de la hache double, figures qui associent ainsi la force de la foudre et la
fécondité)
2. kponuhwan : "bâton-bout-lance"
3. Dan xèlè : symbole de Dan, le python Arc-en-Ciel autre
puissance vodu (Danhomey signifie « Sur le ventre du Serpent »).
4. nutonu : poinçon
5. hwi : couteau
6. alin : houe
7. kponuhwan ken
non : lance-harpon
8. atakla : arme pour le corps à corps.
9. gudaglo : sorte de sabre gubasa sans motif
gravé. Ce peut-être aussi la représentation d'un marteau de forge
10. glankpazunvazunva, serpe (serpe
utilisée dans les travaux de défrichage, mais qui peut être une arme aussi)
11. mlen: hameçon
12. alingle,
clochette à battant interne utilisée par les bokonon, prêtres-devins du
culte de Fa, le grand ancêtre des Orisha yoruba. Elle est accrochée à la
couronne par une chaîne.
Gou tient en mains deux objets. A
droite le sabre gubasa, à lame ajourée. Selon certains auteurs le cercle renvoie, avec
le motif losangé, à l’espace du danger absolu. Les triangles opposés et le
losange en dessous confèrent le pouvoir dit ace, c’est à dire la
capacité de réussir une mission. Le 2e attribut est une cloche,
le kpanlingan, servant à attirer
l’attention du vodun, à rythmer les
prières et à scander les litanies des noms royaux. C’est un instrument de calme
et de dialogue qui s’oppose au sabre, instrument de guerre.
Les attributs de Gou ont connu
une histoire mouvementée :
- Maurice Delafosse indique en 1894 que Gou possède
« deux clochettes pendant dans le dos, attachées par des chaînes, à
deux des ornements du chapeau ». Or, dès 1895, les photographies ne
font apparaître qu’une chaîne dorsale ornée d’une seule cloche.
- Lors de l’exposition « African Negro
Art » à New York en 1935, on peut remarquer que Gou ne brandit plus
en main le sabre mais uniquement sa cloche, mais à droite et non à gauche.
- Ensuite, la cloche disparaît également. Une
photographie de 1938 ou de 1939 (JazzMagazine) renvoie l’image d’un
Gou aux mains vides.
- Au milieu des années 90, le sabre et la cloche sont
restitués. Le sabre paraît être d’origine (retrouvé dans les réserves du
musée en 1969 mais indiqué de provenance inconnue), mais les spécialistes
ont des doutes au sujet de la cloche. En effet, des photographies début du
XXe siècle montrent une cloche confectionnée entièrement en métal ;
or la nouvelle possède un manche en bois.
Akati
Ekplékendo et la place de l’artiste dans les cours royales
C’est un artiste fon originaire
de Doumé (située au nord-ouest de la capitale Abomey), cité contre laquelle
Glélè (roi du Dahomey de 1858 à 1889) mena une expédition la première année de
son règne, sa 1e victoire personnelle. Akati Ekplékendo, qui était
déjà à cette époque un sculpteur renommé, fut capturé pendant la bataille,
constitué prisonnier de guerre puis installé dans un atelier de forgeron du
palais. Certains auteurs pensent qu’il aurait entamer cette expédition
uniquement pour récupérer l’artiste.
Jean Laude écrit en 1966 : « Pour
n’avoir pas, dans la société, de position analogue à celle de l’artiste
européen, le sculpteur noir n’en est pas, pour autant, un modeste et anonyme
exécutant. Cet anonymat peut peser lourdement sur la compréhension d’une
oeuvre. Si, avec une marge d’erreur réduite, l’on peut déterminer l’origine
ethnique d’une sculpture, là s’arrête souvent notre savoir ». En effet il
est très rare que l’on connaisse le nom de l’auteur d’une œuvre d’art africaine
antérieure au vingtième siècle. On peut citer le « Maître de
Buli » (Ngongo ya Chintu), le « Maître des coiffures en cascade »,
Kamten (qui réalisa le présentoir à calebasses conservé au MQB et peut-être la Reine de Bansoa), ainsi que
Sosa Adede, auteur des statues de Glélè et Béhanzin, elles aussi conservées au
MQB.
Même si ce sont les œuvres en
bois qui dominent dans la production artistique africaine, les forgerons
tiennent une place toute particulière dans les sociétés. Ils sont à la fois les
artisans qui fabriquent l’outillage en fer ou l’armement (dont a besoin un
peuple de cultivateurs et de chasseurs) ; ils sont également les seul
habilités à sculpter des images supports de culte ; ils ont un rôle de
pacificateur ou de médiateur entre les membres de la société et entre le monde
des morts et celui des vivants ; et enfin ils sont parfois sculpteur,
étant donné l’importance de leur rôle dans les mythes de création et leurs
qualifications techniques.
Une œuvre
exceptionnelle
Considérée par Jean Laude comme
« l’un des chefs-d’œuvre de la sculpture mondiale », cette statue est
la seule statue de fer de taille humaine connue en provenance d’Afrique. Elle
est également exceptionnelle parce que l’armature métallique qui en constitue
l’ossature est articulée. On peut
également noter que Gou porte un cache-sexe, ce qui indique que Akati
Ekplékendo d'abord créé un personnage selon les canons de la sculpture des bocio,pour ensuite l’habiller pour
répondre à la commande royale. L’œuvre est également intéressante
dans le rendu du mouvement, malgré la raideur de la figure et l’ampleur figée
du vêtement : les jambes grêles semblent avancer.
Quelques autres Gou provenant de la même aire
culturelle sont attestés. Ils sont en bois et de même taille, ou en métal et
plus petit.
· Glélé a également fait exécuter, en bois
recouvert de cuivre martelé, la figure d’un autre dieu guerrier lié à son signe
de divination, qui était installée près de la porte principale d’Abomey, pour
protéger la cité et qu’il a dédiée à son père Guézo (conservée au musée Dapper,
H105cm).
· Une 3e sculpture royale guerrière
grandeur nature, appelée Daguesu,
nous est connue grâce à des représentations sur des étoffes et des bas-reliefs.
L’original tenait semble-t-il dans sa bouche une hache-tonnerre de fer,
référence au dieu de la foudre Hèbioso, qui avait investi la statue du pouvoir
d’attirer la victoire militaire (tissu aux motifs appliqués, début XXe siècle,
Collection Curtis Galeries, Minneapolis).
Bibliographie
Africa. The art of a continent, catalogue d’exposition, Royal
Academy of Arts (4 octobre 1995 - 21janvier 1996), Londres, Prestel, 1996
BITON M. in KERCHAHE J. (dir.), Sculptures. Afrique, Asie, Océanie,
Amériques, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2000
DIAKONOFF S., L’âme de l’Afrique. Masques et sculptures,
Paris, Les éditions de l’Amateur, 2006
LAUDE J., Les arts de l’Afrique noire, Paris, Le Livre de poche, 1966
PRESTON BLIER S., L’art royal africain, Paris, Flammarion,
1997
Page concernant la pièce, réalisée par Joseph
Anande et Serge Tornay, professeur au Muséum National d'Histoire Naturelle
(MNHN), responsable des collections africaines et ancien directeur du Service
du Musée de l'Homme
http://www.mnhn.fr/mnhn/mdh/MHom21.htm
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