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André Breton, né à Tinchebray (Orne) le 19 février 1896 et mort à Paris le 28 septembre 1966, était un écrivain, poète, essayiste et théoricien du surréalisme. Il est connu en particulier pour des livres comme Nadja (1928), L'Amour fou (1937), et les différents Manifestes du surréalisme. La manière dont il a conduit le mouvement surréaliste et l'importance de son œuvre critique et théorique, en matière d'arts plastiques notamment, en font une figure majeure de l'art et de la littérature au XXe siècle.

Biographie

De la tentative d’un coup d’État poétique au Premier manifeste (1924)

Fils unique d’une famille de la petite bourgeoisie catholique dont la mère impose une éducation rigide, André Breton passe une enfance sans histoire à Pantin (Seine-St-Denis)[1], dans la banlieue nord-est de Paris.

Premières rencontres décisives : Valéry, Apollinaire, Vaché

Au collège Chaptal, il suit une scolarité « moderne » (sans latin ni grec[2]), se fait remarquer par son professeur de rhétorique qui lui fait découvrir Charles Baudelaire et Joris-Karl Huysmans, et par son professeur de philosophie qui lui oppose le positivisme ("Ordre et progrès") aux pensées hégéliennes ("Liberté de la conscience de soi") qu’affectionne le jeune homme.[3] Il se lie d’amitié avec Théodore Fraenkel et René Hilsum qui publie ses premiers poèmes dans la revue littéraire du collège. Au dépit de ses parents qui le voyaient ingénieur, Breton entre en classe préparatoire au PCN[4] avec Fraenkel.

Au début de 1914, il adresse quelques poèmes à la manière de Stéphane Mallarmé, à la revue "La Phalange" que dirige le poète symboliste Jean Royère. Ce dernier les publie et met Breton en relation avec Paul Valéry. À la déclaration de guerre, le 3 août, il est avec ses parents à Lorient (Morbihan). Il a pour seul livre un recueil de poèmes d’Arthur Rimbaud qu’il connait mal. Jugeant sa poésie si « accordée aux circonstances », il reproche à son ami Fraenkel sa tiédeur devant « une œuvre aussi considérable ». Pour sa part, il proclame « l’infériorité artistique profonde de l’œuvre réaliste sur l’autre. »[5] Déclaré « bon pour le service » en janvier 1915, Breton est envoyé à Pontivy, dans l’artillerie, pour faire ses classes dans ce qu'il devrait plus tard décrire comme « un cloaque de sang, de sottise et de boue. »[6]. La lecture d'articles d'intellectuels renommés comme Maurice Barrès ou Henri Bergson, le conforte dans son dégoût du nationalisme ambiant. Il est ensuite affecté à l’hôpital de Nantes (Loire-Atlantique) comme interne en médecine. Il écrit sa première lettre à Guillaume Apollinaire à laquelle il joint le poème « Décembre ».

En février ou mars 1916, il rencontre un soldat en convalescence : Jacques Vaché. C’est le « coup de foudre » intellectuel. Aux tentations littéraires de Breton, Vaché lui oppose Alfred Jarry, la « désertion à l’intérieur de soi-même » et n’obéit qu’à une loi, l’« Umour (sans h) ». Découvrant dans un manuel[7] ce que l’on nomme alors la « psychoanalyse » de Sigmund Freud,[8] à sa demande, Breton est affecté au Centre de neurologie à Saint-Dizier (Haute-Marne) que dirige un ancien assistant du docteur Jean-Martin Charcot. En contact direct avec la folie, il refuse d’y voir seulement un déficit mental mais plutôt une capacité à la création[9]. Le 20 novembre 1916, Breton est envoyé au front comme brancardier.

De retour à Paris en 1917, il rencontre Pierre Reverdy avec qui il collabore à sa revue "Nord-Sud" et Philippe Soupault que lui présente Apollinaire : « Il faut que vous deveniez amis. » Soupault lui fait découvrir les « Chants de Maldoror » de Lautréamont, qui provoquent chez lui une grande émotion[10]. Avec Louis Aragon dont il fait la connaissance à l’hôpital du Val-de-Grâce, ils passent leur nuits de garde à se réciter des passages de « Maldoror » au milieu des « hurlements et des sanglots de terreur déclenchés par les alertes aériennes chez les malades », (Aragon).

Dans une lettre de juillet 1918 à Fraenkel, Breton évoque le projet en commun avec Aragon et Soupault, d’un livre sur quelques peintres comme Giorgio De Chirico, André Derain, Juan Gris, Henri Matisse, Picasso, Henri Rousseau... dans lesquels serait « contée à la manière anglaise » la vie de l’artiste, par Soupault, l’analyse des œuvres, par Aragon et quelques réflexions sur l’art, par Breton lui-même. Il y aurait également des poèmes de chacun en regard de quelques tableaux.

Malgré la guerre, la censure et l’esprit anti-germanique, parviennent de Zurich, Berlin ou Cologne, les échos des manifestations Dada ainsi que quelques unes de leurs publications comme le « Manifeste Dada 3 ». Au mois de janvier 1919, profondément affecté par la mort de Jacques Vaché, Breton croit voir en Tristan Tzara la réincarnation de l’esprit de révolte de son ami : « Je ne savais plus de qui attendre le courage que vous montrez. C’est vers vous que se tournent aujourd’hui tous mes regards. »[11]

"Littérature" - "Les Champs magnétiques" - Dada à Paris

Projetée depuis l’été précédent, Aragon, Breton et Soupault, les « trois mousquetaires » comme aimait à les appeler Paul Valéry, fondent la revue "Littérature" dont le premier numéro paraît en février 1919. Rencontré le mois suivant, Paul Éluard est immédiatement intégré dans le groupe.[12]

Après la parution de « Mont de piété » qui regroupe ses premiers poèmes écrits depuis 1913, Breton expérimente avec Soupault l'écriture automatique : textes écrits sans aucune réflexion, à différentes vitesses, sans retouche ni repentir. « Les Champs magnétiques », écrit en mai et juin 1919, n’est publié qu’un an plus tard. Le succès critique en fait un ouvrage précurseur du surréalisme[13]

Dans "Littérature" paraissent successivement les « Poésies » de Lautréamont,[14] des fragments des « Champs magnétiques » et l’enquête « Pourquoi écrivez-vous ? », mais Breton reste insatisfait de la revue. Après avoir rencontré Francis Picabia dont l’intelligence, l’humour, le charme et la vivacité le séduisent, Breton comprend qu’il n’a rien à attendre des « aînés », ni de l’héritage d’Apollinaire : l’« Esprit nouveau » paré du bon sens français et son horreur du chaos,[15], ni du réveil de Paul Valéry,[16] pas plus que des « modernes » Jean Cocteau, Raymond Radiguet, Drieu La Rochelle perpétuant la tradition du roman qu’il rejette (et rejettera toujours).

Le 23 janvier 1920, Tristan Tzara arrive enfin à Paris. La déception de Breton de voir apparaître un être « si peu charismatique » est à la hauteur de ce qu’il en attendait. Il se voyait avec Tzara « tuer l’art », ce qui lui paraît le plus urgent à faire même si « la préparation du coup d’État peut demander des années. »[17] Avec Picabia et Tzara, ils organisent les manifestations Dada qui suscitent le plus souvent incompréhension, chahuts et scandales, buts recherchés. Mais dès le mois d’août, Breton prend ses distances avec Dada. Il refuse d’écrire une préface à l’ouvrage de Picabia « Jésus-Christ rastaquouère » : « Je ne suis même plus sûr que le dadaïsme ait gain de cause, à chaque instant je m’aperçois que je le réforme en moi. »[18]

À la fin de l’année, Breton est engagé par le couturier, bibliophile, et amateur d’art moderne Jacques Doucet. Ce dernier, « personnalité éprise de rare et d’impossible, juste ce qu’il faut de déséquilibre », lui commande des lettres sur la littérature et la peinture ainsi que des conseils d’achat d’œuvres d’art. Breton lui fera acheter le tableau « Les Demoiselles d’Avignon » de Picasso.

Après le « Procès Barrès »[19] (mai 1921), rejeté par Picabia et au cours duquel Tzara s’est complu dans une insolence potache, Breton considère le pessimisme absolu des dadaïstes comme de l'infantilisme. L’été suivant, il profite d’un séjour dans le Tyrol pour rendre visite à Sigmund Freud à Vienne, mais ce dernier garde ses distances avec le chef de file de ceux qu'il est tenté de considérer comme des « fous intégraux »[20]

Rupture avec Dada - Naissance du surréalisme - Premier manifeste

En janvier 1922, Breton tente d’organiser un « Congrès international pour la détermination des directives et la défense de l’esprit moderne ». L’opposition de Tzara en empêche la tenue. Une nouvelle série de "Littérature" avec Breton et Soupault pour directeurs, recrute de nouveaux collaborateurs comme René Crevel, Robert Desnos, Roger Vitrac mais, définitivement hostile à Picabia, Soupault prend ses distances avec les surréalistes. Avec Crevel, Breton expérimente les sommeils hypnotiques permettant de libérer le discours de l’inconscient. Ces états de sommeil forcé vont révéler les étonnantes facultés d’ « improvisation » de Benjamin Péret et de Desnos. À la fin février 1923, doutant de la sincérité des uns et craignant pour la santé mentale des autres, Breton décide d’arrêter l’expérience.

Breton semble fatigué de tout : il considère les activités de journalisme d’Aragon et Desnos, certes rémunératrices, comme une perte de temps, les écrits de Picabia le déçoivent, il s’emporte contre les projets trop littéraires de ses amis - « toujours des romans ! »[21] Dans un entretien avec Roger Vitrac, il confie même son intention de ne plus écrire. Cependant, au cours de l’été suivant, il écrit la plupart des poèmes de « Clair de terre ».

Le 15 octobre 1924, paraît, en volume séparé, « Le Manifeste du surréalisme » initialement prévu pour être la préface au recueil de textes automatiques « Poisson soluble ». Instruisant le procès de l’attitude réaliste, Breton évoque le chemin parcouru jusque-là et définit ce nouveau concept, revendique les droits de l’imagination, plaide pour le merveilleux, l’inspiration, l’enfance et le hasard objectif.

    « SURRÉALISME, n. m. Automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
    - Encycl. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. »

Quelques jours après, le groupe publie le pamphlet « Un cadavre », écrit en réaction aux funérailles nationales faites à Anatole France : « Loti, Barrès, France, marquons tout de même d’un beau signe blanc l’année qui coucha ces trois sinistres bonshommes : l’idiot, le traitre et le policier. Avec France, c’est un peu de la servilité humaine qui s’en va. Que soit fête le jour où l’on enterre la ruse, le traditionalisme, le patriotisme et le manque de cœur ! ».

« Transformer le monde » et « changer la vie » (1925-1938)

"La Révolution surréaliste" - "Nadja"- Adhésion au PCF - Premières ruptures

Le 1er décembre 1924, paraît le premier numéro de la Révolution surréaliste, l’organe du groupe que dirigent Benjamin Péret et Pierre Naville. Breton radicalise son action et sa position politique. Sa lecture de l’ouvrage de Léon Trotsky sur Lénine et la guerre coloniale menée par la France dans le Rif marocain le rapproche des intellectuels communistes. Avec les collaborateurs des revues Clarté et Philosophie, les surréalistes forment un comité et rédigent un tract commun La Révolution d’abord et toujours.

En janvier 1927, Aragon, Breton, Éluard, Péret et Pierre Unik adhèrent au parti communiste français. Ils s’en justifient dans le tract Au grand jour. Breton est affecté à une cellule d’employés du gaz.

Le 4 octobre 1926, il rencontre Nadja[22]. Ils se fréquentent chaque jour jusqu’au 13 octobre.[23] Elle ordonne à Breton d’écrire « un roman sur moi. Prends garde : tout s’affaiblit, tout disparaît. De nous il faut que quelque chose reste... ».[24] Retiré au manoir d’Ango, près de Varangeville-sur-Mer, au mois d’août 1927, en compagnie d’Aragon, Breton commence l’écriture de Nadja. En novembre, à l’occasion d’une lecture qu’il fait au groupe, Breton rencontre Suzanne Muzard. C’est le coup de foudre réciproque. Bien qu’elle soit la maîtresse d’Emmanuel Berl, elle partage avec Breton une aventure passionnée et orageuse. Elle demande à Breton de divorcer d’avec Simone, ce à quoi il consent, mais freinée dans ses désirs d’aventure par son goût du confort et de la sécurité matérielle, elle épouse Berl, sans pour autant rompre définitivement. La relation faite de ruptures et de retrouvailles perdurera jusqu’en janvier 1931. Pour elle, Breton ajoute une troisième partie à « Nadja ».

Cet amour malheureux pèse sur l’humeur de Breton : mésententes dans le groupe, détachement de Robert Desnos, altercation en public avec Soupault, fermeture de la Galerie Surréaliste pour cause de gestion négligée... La parution du Second manifeste du surréalisme (décembre 1929) est l'occasion pour Breton de relancer le mouvement et de, selon l'expression de Mark Polizzotti, « [codifier] tous les changements que le mouvement a connus pendant ses cinq premières années et en particulier le passage (...) de l'automatisme psychique au militantisme politique »[25]. Breton est alors plongé dans la lecture de Marx, Engels et Hegel, et la question du réel dans sa dimension politique ainsi que celle de l'engagement de l'individu occupent sa réflexion comme le précise l'incipit du livre[26]. Ce second manifeste est aussi l'occasion pour lui de régler ses comptes, de manière violente en maniant jusqu'à l'insulte et le sarcasme[27], et de faire le point sur les remous qu'a connus le groupe ces dernières années. Breton justifie son intransigeance par sa volonté de découvrir, s'inspirant de la Phénoménologie de l'esprit, ce « point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement[28]. » Les « exclus » visés par le texte réagissent en publiant un pamphlet sur le modèle de celui écrit contre Anatole France quelques années plus tôt et en reprennent le même titre, Un cadavre. Dès lors, les adversaires sacrent ironiquement Breton « Pape du surréalisme »[29]. L'humeur sombre de Breton s'exprime pleinement dans ce que Mark Polizzotti appelle le « passage le plus sinistre du manifeste » et qui est selon lui le reflet d'une grande « amertume personnelle »[30], une phrase souvent citée et reprochée à Breton, notamment par Albert Camus : « L'acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule[31]. » Marguerite Bonnet relève qu'une phrase très proche figurait déjà dans un article publié en 1925 dans le numéro 2 de La Révolution surréaliste et qu'elle n'avait pas en son temps retenu l'attention. Elle avance que Breton fait allusion à la figure d'Émile Henry qui peu après son arrestation a prétendu s'appeler « Breton » et suggère qu'« une sorte de lent transfert, de nature presque onirique, cheminant dans les zones les plus mystérieuses de la sensibilité, aurait ainsi préparé en [Breton] la tentation fugitive de s'identifier à l'ange exterminateur de l'anarchie »[32].

"SASDLR" - Rupture avec Aragon - "L'Amour fou" - Rupture avec Éluard

La Révolution surréaliste fait place au Surréalisme au service de la Révolution (SASDLR). Le titre de la revue est d'Aragon. Breton et André Thirion lancent l’idée d’une Association des écrivains et artistes révolutionnaires. Cette association est effectivement créée en janvier 1932 par les instances dirigeantes du parti communiste français, mais ni Breton ni Thirion n’ont été sollicités et leur adhésion ainsi que celle d’autres surréalistes n’est prise en compte qu’à la fin de 1932.

Même s’il ne désespère pas de pouvoir orienter l’action culturelle du Parti et récupérer les forces psychiques dispersées, en conciliant le freudisme avec le marxisme au service du prolétariat, Breton ne cesse de se heurter à l’incompréhension et la défiance croissante.

Quand il dénonce la censure de l’activité poétique par l’autorité politique qui frappe le poème d’Aragon Front rouge, sans cacher le peu d’estime qu’il a pour ce texte de pure propagande, Breton n’en défend pas moins son auteur (Misère de la poésie), Aragon désavoue cette défense et provoque la rupture définitive.
Paul Vaillant-Couturier lui reproche un texte de Ferdinand Alquié, publié dans SASDLR, dénonçant le « vent de crétinisation systématique qui souffle de l’U.R.S.S. ».

En réponse aux violentes manifestations fascistes du 6 février 1934, devant l’Assemblée nationale, Breton lance un Appel à la lutte à destination de toutes les organisations de gauche. Sollicité, Léon Blum refuse poliment son soutien.

En juin 1935, Breton écrit un discours qu’il doit prononcer au Congrès des écrivains pour la défense de la culture. « “Transformer le monde”, a dit Marx ; “Changer la vie”, a dit Rimbaud ; ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un » est la conclusion de ce discours. Mais à la suite d’une violente altercation avec Ilya Ehrenbourg, ce dernier, délégué de la représentation soviétique, ayant calomnié les surréalistes, la participation de Breton est annulée. Il fallut le suicide de René Crevel pour que les organisateurs concèdent à Éluard de lire le texte. La rupture définitive avec le Parti est consommée avec le tract Du temps où les surréalistes avaient raison.

En 1934, Breton rencontre Jacqueline Lamba dans des circonstances proches de celles évoquées dans le poème Tournesol écrit en 1923. De cette rencontre et des premiers moments de leur amour, Breton écrit le récit « L'Amour fou ». De leur union naît une fille, Aube.

En 1938, Breton organise la première Exposition internationale du surréalisme à Paris. À cette occasion, il prononce une conférence sur l’humour noir. Cette même année, il voyage au Mexique et rencontre les peintres Frida Kahlo et Diego Rivera, ainsi que Léon Trotsky avec qui il écrit le manifeste Pour un art révolutionnaire indépendant, base à la constitution d’une Fédération internationale de l’art révolutionnaire. Cette initiative est à l’origine de la rupture avec Éluard.

De l’exil à l’insoumission (1939-1966)

Marseille - Martinique - New York

Mobilisé dès septembre 1939, Breton est affecté en janvier 1940 au centre de pilotage de Poitiers comme médecin. Le jour de l’armistice (17 juin), il est en « zone non-occupée » et trouve refuge chez Pierre Mabille[33] à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), puis, rejoint par Jacqueline et leur fille Aube, à la villa Air-Bel, à Marseille, siège du Comité américain de secours aux intellectuels créé par Varian Fry. Dans l’attente d’un visa, les surréalistes[34] reconstituent un groupe et trompent l’ennui et l’attente par des cadavres exquis dessinés et la création d’un tarot de Marseille. À l’occasion d’une visite à Marseille du maréchal Pétain, André Breton, dénoncé comme « anarchiste dangereux », est préventivement emprisonné sur un navire pendant quatre jours, tandis que la censure de Vichy interdit la publication de l’Anthologie de l’humour noir et de Fata morgana.

Breton embarque à destination de New York le 25 mars 1941 avec Wifredo Lam et Claude Lévi-Strauss. À l’escale de Fort-de-France (Martinique), Breton est interné puis libéré sous caution. Il rencontre Aimé Césaire. Le 14 juillet, il arrive à New York.
Avec Marcel Duchamp, Breton fonde la revue VVV et Pierre Lazareff l’engage comme « speaker »[35] pour les émissions de la radio la Voix de l’Amérique à destination de la France. Jacqueline le quitte pour le sculpteur David Hare.

Le 10 décembre 1943, Breton rencontre Élisa Claro. Ensemble, ils voyagent sur la presqu’île de Gaspésie au Canada. Dès son retour à New-York, il publie Arcane 17 né du « désir d’écrire un livre autour de l’Arcane 17[36] en prenant pour modèle une dame que j’aime... »

Pour régler les questions pratiques de divorce et de remariage, Breton et Élisa se rendent à Reno dans le Nevada. Il en profite pour visiter les réserves des indiens Hopis et Zunis, emportant avec lui des ouvrages de Charles Fourier.

Haïti - Retour en France - Nouvelles polémiques et nouvelles expositions

En décembre 1945, à l’invitation de Pierre Mabille, nommé attaché culturel à Pointe-à-Pitre, Breton se rend en Haïti pour y prononcer une série de conférences. Sa présence coïncide avec un soulèvement populaire qui renverse le gouvernement en place[37]. Le 25 mai 1946, il est de retour en France.

Dès le mois de juin, il est invité à la soirée d’hommages rendus à Antonin Artaud. C’est d’une voix vive et ferme que Breton prononce enfin les « deux mots d’ordre qui n’en font qu’un : Transformer le monde et changer la vie. »[38]

Malgré les difficultés de la reconstruction de la France et le début de la guerre froide, Breton entend poursuivre sans aucune inflexion les activités du surréalisme. Et les polémiques reprennent et se succèdent : contre Tristan Tzara se présentant comme le nouveau chef de file du surréalisme, contre Jean-Paul Sartre considérant les surréalistes comme des petits-bourgeois, contre des universitaires à qui il démonte la supercherie d’un soi-disant inédit d’Arthur Rimbaud, contre Albert Camus et ses chapitres sur Lautréamont et le surréalisme dans L’Homme révolté.

Il retrouve Georges Bataille pour une nouvelle Exposition internationale du surréalisme dédiée à Éros, donne fréquemment son concours pour nombre d’artistes inconnus en préfaçant les catalogues d’exposition, et participe à plusieurs revues surréalistes comme Médium, Le Surréalisme même, Bief, La Brêche...

À partir de 1947, André Breton s'intéresse de près à l’Art brut. Avec Jean Dubuffet il participe à la création de la « Compagnie de l'Art brut », officiellement créée en juillet 1948, qui aurait pour objet de « rassembler, conserver et exposer les œuvres des malades mentaux. »[39].

En 1954, un projet d'action commune avec l'Internationale lettriste contre la célébration du centenaire de Rimbaud échoue lorsque les surréalistes refusent la « phraséologie marxiste » proposée par les lettristes dans le tract commun. Breton est alors pris à partie par Gil Joseph Wolman et Guy Debord qui soulignent dans un texte sur le mode allégorique sa perte de vitesse au sein du mouvement[40].

En 1960, il signe le Manifeste des 121, déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie.

En 1965, il organise la 9e Exposition internationale surréaliste intitulée L’Écart absolu en référence à l’utopie fouriériste.
Tombe d’André Breton au Cimetière des Batignolles à Paris

Le 27 septembre 1966, souffrant d’une insuffisance respiratoire, André Breton est rapatrié de Saint-Cirq-Lapopie[41]à Paris. Il meurt le lendemain à l’hôpital Lariboisière.

Enterré au cimetière des Batignolles, sur sa tombe est gravée l’épitaphe : « Je cherche l’or du temps ».[42]

    « Héraclite mourant, Pierre de Lune, Sade, le cyclone à tête de grain de millet, le tamanoir : son plus grand désir eût été d’appartenir à la famille des grands indésirables.[43] »

« Un théoricien amoureux de la théorie »

    « Il y a à la base de toute réflexion profonde un sentiment si parfait de notre dénuement que l’optimisme ne saurait y présider... Je me crois sensible autant qu’il se peut à un rayon de soleil mais cela n’empêche pas de constater que mon pouvoir est insignifiant... Je rends justice à l’art en mon for intérieur mais je me défie des causes en apparence les plus nobles.[44] »

Visage décidé, menton en avant, le coin de la lèvre inférieure affaissé à cause de la pipe,[45] chevelure léonine tirée en arrière, le regard fixant l’invisible, André Breton a incarné le surréalisme cinquante ans durant, malgré lui et en dépit du rejet des institutions et des honneurs constamment exprimés.

Toute sa vie, Breton a tenté d’emprunter d’un même front, trois chemins : la poésie, l’amour, la liberté.[46]

Très tôt, il s’est méfié des romans et leurs auteurs lui donnent l’impression qu’ils s’amusent à ses dépens.[47] De manière générale, il rejette « l’esprit français » fait de blasement, d’atonie profonde qui se dissimule sous le masque de la légèreté, de la suffisance, du sens commun le plus éculé se prenant pour le bon sens, du scepticisme non éclairé, de la roublardise.[48] « Avec Breton, le merveilleux remplace les exhibitions nihilistes et l'irrationnel ouvre les portes étroites du réel sans vrai retour au symbolisme », Hubert Haddad.

Pour abolir les conformismes et les préjugés, combattre le rationalisme, Breton usera de la poésie comme d’une arme aux multiples facettes que sont l’imagination, « qui fait à elle seule les choses réelles »[50], l’émerveillement, les récits de rêves et les surprises du hasard, l’écriture automatique, les raccourcis de la métaphore et l’image. « Que font la poésie et l’art ? Ils vantent. L’objet de la réclame est aussi de vanter. La puissance de la réclame est bien supérieure à celle de la poésie [...] La poésie a toujours été regardée comme une fin. J’en fais un moyen. C’est la mort de l’art (de l’art pour l’art). Les autres arts suivent la poésie. »

Il s’agit de « retrouver le secret d’un langage dont les éléments cessassent de se comporter en épaves à la surface d’une mer morte. »

Pour réussir son entreprise de subversion poétique Breton s’est gardé de tout travail quotidien alimentaire, allant jusqu’à défendre à ses amis les plus proches (Aragon, Desnos) de se commettre dans le journalisme. « La révélation du sens de sa propre vie ne s’obtient pas au prix du travail. [...] Rien ne sert d’être vivant, s’il faut qu’on travaille. »

Pour Breton, l’amour, comme le rêve, est une merveille où l’homme retrouve le contact avec les forces profondes. Amoureux de l’amour et de LA Femme, il dénonce la société pour avoir trop souvent fait des relations de l’homme et de la femme une malédiction d’où serait née l’idée mystique de l’amour unique. L’amour « ouvre les portes du monde où, par définition, il ne saurait plus être question de mal, de chute ou de péché ». « Il n’est pas de solution hors l’amour. »

« Je n’ai pas connu d’homme qui ait une plus grande capacité d’amour. Un plus grand pouvoir d’aimer la grandeur de la vie et l’on ne comprend rien à ses haines, si l’on ne sait pas qu’il s’agissait pour lui de protéger la qualité même de son amour de la vie, du merveilleux de la vie. Breton aimait comme un cœur bat. Il était l’amant de l’amour dans un monde qui croit à la prostitution. C’est là son signe », Marcel Duchamp.

Particulièrement attaché à la métaphore de la « maison de verre », Breton s’est livré dans les « Vases Communicants » à une analyse de quelques uns de ses rêves comme s'il n'existait aucune frontière entre le conscient et l'inconscient. Pour lui, le rêve est l'émanation de ses pulsions profondes qui lui indique une solution que le recours à l’activité consciente ne peut lui apporter.

Les adversaires de Breton l’ont nommé, par dérision parfois, avec véhémence souvent, le « pape du surréalisme ». Or, si l’auteur des « Manifestes » a constamment influé sur la ligne directrice du mouvement, il s'est toujours gardé d'apparaître comme un "chef de file", même s'il a pu se montrer intransigeant, voire intolérant, lorsqu’il considérait que l’intégrité du mouvement surréaliste était en péril. Toute idée de contrainte, militaire, cléricale ou sociale, a toujours suscité en lui une révolte profonde.

Présentant ce qu’ont toujours été ses objectifs, Breton écrit : « La vraie vie est absente », disait déjà Rimbaud. Ce sera l’instant à ne pas laisser passer pour la reconquérir. Dans tous les domaines, je pense qu’il faudra apporter à cette recherche toute l’audace dont l’homme est capable. » Et Breton ajoute quelques mots d’ordre :

    « Foi persistante dans l’automatisme comme sonde, espoir persistant dans la « dialectique » (celle d’Héraclite, de Maître Eckhart, de Hegel) pour la résolution des antinomies qui accablent l’homme, reconnaissance du « hasard objectif » comme indice de réconciliation possible des fins de la nature et des fins de l’homme aux yeux de ce dernier, volonté d’incorporation permanente à l’appareil psychique de l’ «humour noir » qui, à une certaine température peut seul jouer le rôle de soupape, préparation d’ordre pratique à une intervention sur la vie mythique, qui prenne d’abord, sur la plus grande échelle, figure de nettoyage. »

Ce que Breton réhabilite sous le nom de « hasard objectif », c’est la vieille croyance en la rencontre entre le désir humain et les forces mystérieuses qui agissent en vue de sa réalisation. Mais cette notion est dépourvue à ses yeux de tout fondement mystique. Il se base sur ses expériences personnelles de « synchronicités » et sur les expérimentations en métapsychique qu’il a observées à l’Institut métapsychique international.

Pour souligner son accord avec le matérialisme dialectique, il cite Friedrich Engels : « La causalité ne peut être comprise qu’en liaison avec la catégorie du hasard objectif, forme de manifestation de la nécessité »[60]. Dans ses œuvres, le poète analyse longuement les phénomènes de hasard objectif dont il a été le bénéficiaire bouleversé. « Nadja » semble posséder un pouvoir médiumnique qui lui permet de prédire certains événements. Ainsi annonce-t-elle que telle fenêtre va s’éclairer d’une lumière rouge, ce qui se produit presque immédiatement aux yeux d’un Breton émerveillé. Michel Zeraffa a tenté de résumer ainsi la théorie de Breton : « Le cosmos est un cryptogramme qui contient un décrypteur : l’homme. » Ainsi mesure-t-on l’évolution de l’Art poétique du symbolisme au surréalisme, de Gérard de Nerval et Charles Baudelaire à Breton

L'« humour noir », expression forgée par Breton est un des ressorts essentiels du surréalisme. La négation du principe de réalité qu’il comporte en est le fondement même. Selon Étienne-Alain Hubert « l'humour, loin d'être un exercice brillant, engage des zones profondes de l'être et [...] dans les formes les plus authentiques et les plus neuves qu'il connaît alors, il se profile sur un arrière-fond de désespoir. »[64]. Il publie en 1940 une Anthologie de l’humour noir. Pour Michel Carrouges il faut parler, à propos de l'œuvre de Breton comme de celle de Benjamin Péret, d’une « synthèse de l’imitation de la nature sous ses formes accidentelles, d’une part, et de l’humour, d’autre part, en tant que triomphe paradoxal du principe de plaisir sur les conditions réelles. »[citation nécessaire]

Œuvre

Les œuvres complètes d’André Breton ont été publiées par Gallimard en quatre tomes dans la Bibliothèque de la Pléiade sous la direction de Marguerite Bonnet. (OCLC 20526303)

Biographie

    * Henri Béhar « André Breton le grand indésirable », Fayard, 2005, 554 pages, nouvelle édition revue et ressourcée (première édition chez Calmann-Lévy, 1990).
    * Marguerite Bonnet « Chronologie », dans « André Breton : œuvres complètes », Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1988.
    * « André Breton », in « Le Robert des grands écrivains de langue française » sous la direction de Philippe Hamon et Denis Roger-Vasselin, Les Dictionnaires Le Robert, Paris, 2000.
    * Mark Polizzotti, André Breton, Biographies Gallimard, 1999, 844 pages.

Essais, études et témoignages

    * « André Breton. La beauté convulsive », catalogue de l’exposition du Centre Pompidou, 1991, 512 pages.
    * Sarane Alexandrian, André Breton par lui-même, collection Écrivains de toujours, Le Seuil 1971.
    * Marguerite Bonnet, André Breton, naissance du surréalisme, José Corti, 1975.
    * Michel Carrouges, André Breton et les données fondamentales du Surréalisme, N.R.F..
    * Jean Clair, Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes, Paris, Mille et une nuits, 2003.
    * Charles Duits, André Breton a-t-il dit passe, Maurice Nadeau, 1991, (ISBN 2-86231-097-2)
    * Julien Gracq, André Breton, quelques aspects de l'écrivain, José Corti, 1948.
    * Philippe Lavergne, André Breton et le mythe, José Corti, 1985.
    * Gérard Legrand, André Breton en son temps, Le Soleil noir, 1976.
    * Volker Zotz, André Breton, Somogy, 1990.



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