Qu'est-ce qu'un corps?
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J’ai un corps bien à moi, semble-t-il, et c’est ce qui fait que je suis moi. Je le compte parmi mes propriétés et prétends exercer sur lui ma pleine souveraineté. Je me crois donc unique et indépendant. Mais c’est une illusion, car il n’est pas de société humaine où l’on pense que le corps vaille par lui-même. Tout corps est engendré, et pas seulement par ses pères et mères. Il n’est pas fabriqué par celui qui l’a, mais par d’autres. Pas plus en Nouvelle-Guinée, en Amazonie ou en Afrique de l’Ouest qu’en Europe, n’est-il pensé comme une chose. Il est au contraire la forme particulière de la relation avec l’altérité qui constitue la personne. Selon le point de vue de l’anthropologie comparative adopté ici, cet autre est, respectivement, l’autre sexe, les espèces animales, les morts ou le divin (sécularisé, à l’âge moderne, dans la téléologie du vivant). Oui, mon corps est ce qui me rappelle que je me trouve dans un monde peuplé, par exemple, d’ancêtres, de divinités, d’ennemis ou d’êtres du sexe opposé. Mon corps bien à moi? C’est lui qui fait que je ne m’appartiens pas, que je n’existe pas seul et que mon destin est de vivre en société.
descriptif
224 pages au format 24 x 26 cm
240 illustrations en couleur
1 carte
prix de vente public : 45 €
isbn 2-915133-17-4
Coédition musée du quai Branly/Flammarion
commissaire d'exposition
Stéphane Breton, anthropologue, réalisateur de films documentaires, maître de conférences à l'EHESS, membre du laboratoire d'anthropologie sociale (EHESS/CNRS/Collège de France). Il a publié plusieurs livres parmi lesquels : Télévision, Grasset, 2005, La mascarade des sexes, Calmann-Lévy, 1994, Les fleuves immobiles, Calmann-Lévy, 1994. Il a également réalisé trois films, chroniques de séjours passés chez des peuple des Hautes-Terres de Nouvelle-Guinée, les Wodani, et chez les Kirghizes, diffusés sur Arte : Eux et moi, Les films d'ici & Arte, 2001 ; Ciel dans un jardin, Les films d'ici & Arte, 2003, Un été silencieux, 2006.
les auteurs
Michèle Coquet, anthropologue, chargé de recherches au CNRS, membre du laboratoire « Systèmes de Pensée en Afrique Noire » (EPHE/CNRS)
Michael Houseman, anthropologue, directeur d’édudes à l’Ecole pratique des Hautes Etudes, directeur du laboratoire « Systèmes de Pensée en Afrique Noire » (EPHE/CNRS)
Jean-Marie Schaeffer, philosophe, directeur de recherche au CNRS, directeur du Centre de recherche sur les arts et le langage (CNRS/EHESS)
Anne-Christine Taylor, anthropologue, directeur de recherches au CNRS, membre de l’équipe de recherche en Ethnologie amérindienne
Eduardo Viveiros de Castro, anthropologue, professeur d’anthropologie au Museu Nacional do Brasil, Rio de Janeiro, directeur de recherches associé à l’équipe de recherche en Ethnologie amérindienne (CNRS).
Qu'est ce qu'un corps?
Pendant 18 mois, la grande exposition d’anthropologie porte sur les enjeux universels des relations entre les hommes ; elle est l’aboutissement d’une recherche scientifique transversale.
galerie suspendue Ouest (billet d’entrée du musée)
jusqu'au 23 septembre 2007
Qu’est-ce qu’un corps ? À cette question, la première grande exposition d’anthropologie du musée du quai Branly propose une réponse inattendue.
Elle invite le visiteur à comparer la manière dont le corps et la personne sont représentés dans quatre régions du monde : Afrique de l’Ouest, Europe occidentale, Nouvelle-Guinée, et Amazonie. Contre l’idée typiquement occidentale du corps comme siège d’une irréductible singularité, l’équipe d’anthropologues dirigée par Stéphane Breton montre qu’aucune société humaine – y compris la nôtre, malgré ce qu’elle croit – ne fait du corps une « chose privée », un objet strictement individuel. En effet, le corps est compris par différents peuples comme un produit semi-fini qu’il faut achever : il est l’objet d’un travail, d’une « fabrication ». « Je ne suis pas seul dans mon corps» : par le corps, l’individu noue une relation avec « quelque chose qui n’est pas soi », qui change selon les cultures. Le corps est le lieu d’expression d’une confrontation : masculin/féminin, vivant/non-vivant, divin/image, humain/non-humain… Autant d’oppositions qui se retrouvent dans les productions rituelles, sociales, artistiques (sculptures, objets, images du corps…) présentées ici.
catalogue
Qu’est-ce qu’un corps ? sous la direction de Stéphane Breton, 224 pages, coédition musée du quai Branly/Flammarion, 45 €
Il s’articule autour de quatre grands axes qui mettent l’accent sur une zone géographique bien déterminée en offrant chaque fois une vision différente de cet « autre » qui constitue le corps, à savoir, les morts pour l’Afrique de l’Ouest, le divin pour l’Europe, l’autre sexe pour la Nouvelle-Guinée, et le règne animal pour l’Amazonie.
1 - l’Afrique de l’Ouest
le corps et ses doubles (les ancêtres, les fondateurs mythiques et le génie de la brousse)
Dans les sociétés d’Afrique de l’Ouest comme les Dogon, les Bambara, les Sénoufo ou les Lobi, le façonnement du corps est inséparable de la relation étroite qui unit les vivants à leurs ancêtres, garants de prospérité et de fécondité.
Par ailleurs, les hommes vouent un culte aux êtres mythiques qui auraient fondé le village à l’origine. Ces figures emblématiques s’incarnent en des sculptures à représentation humaine.
La troisième, tout aussi constitutive du corps, se manifeste à travers le génie de la brousse, sorte d’esprit abstrait et intangible qui, comme les autres doubles, préexiste au corps et lui survit.
« le corps est de la terre »
L’homme crée des formes, des autels composés d’éléments non figuratifs issus généralement de la terre et figurant les ancêtres.
« le nouveau-né est un étranger »
Le nouveau-né appartient au monde des ancêtres et des génies. Un certain nombre de rituels dont la circoncision et la scarification lui permettront de devenir une personne à part entière.
« jeux de miroirs »
La statuaire renvoie l’image de figures mythiques exemplaires. La noblesse de l’attitude, les attributs, insignes de puissance, de sagesse et de richesse, les marques attestant un pouvoir de fécondité participent de la qualité plastique d’une œuvre et de son efficacité symbolique.
La sculpture est ainsi le contrepoint plastique et nécessaire à la représentation informe ou informelle des ancêtres et à l’invisibilité des génies.
2 - Europe occidentale
le corps est image
Dans l’Europe chrétienne, l’idée de l’Incarnation, dont le Christ reste le parfait symbole, est fondamentale. L’homme, selon cette conception, a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et le corps, lieu de l’imitation, s’impose comme le signe et l’instrument de cette relation au divin.
Mais dans le monde moderne, en partie déchristianisé, la transcendance a pris d’autres formes et trouve dans le modèle biologique, un nouvel idéal de beauté.
Cette partie de l’exposition, qui s’attache aux différents modes de représentation du corps en Occident, montre des images souvent dégradées ou déformées, flottant comme des lieux communs dans l’espace. Confrontée à cet univers virtuel, figure une seule sculpture, œuvre romane du XIIe siècle qui représente le Christ en croix.
3 - Nouvelle-Guinée
la matrice masculine
En Nouvelle-Guinée, les théories de la procréation selon lesquelles l’embryon est formé par le mélange de la substance sexuelle du père (le sperme) et de la mère (le sang), aboutissent à l’idée que le corps est un composé masculin et féminin. L’être humain serait donc fondamentalement androgyne.
« transformation du contenu en contenant »
Le corps masculin est un corps contenu contrairement au corps féminin qui est un corps contenant.
S’il veut se perpétuer, l’homme doit réaliser ses propres capacités maternelles, devenir un corps englobant, un corps fécond qui contienne quelque chose. Cette ambition est réalisée de manière symbolique par les rites d’initiation au cours desquels on utilise des sculptures rituelles figurant la transformation du corps contenu en corps contenant.
Dans le Golfe de Papouasie, c’est par la dévoration que le corps masculin affirme sa féminité. De cette manière, l’objet masculin englouti devient un objet englobant.
Dans la région du Fleuve Sépik, les crochets et tubes phalliques ornant les objets rituels se rejoignent pour transformer le corps masculin en organe d’engloutissement.
« le corps féminin est la forme idéale du corps masculin »
La forme idéale et ritualisée du corps viril accompli est représentée par un ancêtre masculin portant un pagne féminin, par un crocodile ou un monstre de vannerie mettant symboliquement au monde les garçons par dégorgement ou excrétion. C’est un corps dont la matrice maternelle a fourni le modèle plastique et qui devient un corps social, permettant aux pères de se perpétuer dans leurs fils.
4 – Amazonie
un corps fait de regards
En Amazonie, dans les basses terres d’Amérique du Sud, le corps n’a pas de forme propre. Il prend celle que lui impose le rapport particulier entretenu avec tel autre sujet en fonction des regards échangés, entre celui qui perçoit et celui qui est perçu.
Avoir un corps humain est un état relatif qui dépend aussi de la relation de prédation.
« corps de parent »
Avoir un corps humain implique des dispositions morales à l’égard de ses congénères et des non humains. Ces dispositions, inscrites dans le corps, sont signalées par le vêtement et l’ornementation.
Les plumes de certains oiseaux, par exemple, sont destinées à faire savoir qu’on possède des capacités à vivre en couple ou « en parents ».
« corps de proie et de prédateur »
La solitude, la faiblesse, la maladie et la mort signalent que notre corps est devenu une proie, victime d’une prédation invisible.
Devenir un prédateur, au contraire, c’est voir autrui comme une proie. Cette métamorphose est signalée par des parures de dents et de griffes, par des peintures, par des comportements singuliers.
Les esprits prédateurs sont souvent matérialisés par des masques ou des trophées humains. Ces effigies, toujours pourvues d’yeux et de crocs, matérialisent le corps de non humains animés de dispositions hostiles à l’égard des vivants.
... quelques vitrines du parcours permanent de l'exposition à découvrir.
Afrique de l’Ouest
Une belle sculpture bamana est présentée seule dans la vitrine AF 028, une autre est montrée aux côtés de deux autres statuettes féminines dogon et mossi dans la vitrine AF029.
Les vitrines AF 030 avec de la statuaire Sénoufo, et AF 061 avec un choix important de sculptures lobi permettront de prolonger la visite.
Nouvelle-Guinée
La vitrine OC 004 présente deux crochets et une planche malu liée au rite de passage des jeunes hommes et la vitrine OC 005 ne contient que des crochets. Nous retrouvons un crochet accompagné d’un masque dans la vitrine OC 008. Une série de masques au long nez est également visible dans la vitrine 0C 024 tandis que la vitrine OC 023 propose des statuettes d’ancêtres de clans dont un intéressant mortier à bétel.
Amazonie
Les vitrines AM 020 et AM 023 offrent au regard un grand éventail de parures de plumes. La vitrine AM 022 contient une seule grande coiffe mojo de Bolivie, impressionnante par la richesse de ses couleurs.
commissaire général d’exposition : Stéphane BRETON
scénographie : Frédéric DRUOT