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GALERIE ART PREMIER AFRICAIN GALERIE ART PRIMITIF AFRICAIN AFRICAN ART GALLERY

African Paris. Art premier primitif africain
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Le socle et l’objet
 
Anne Villard *
 
Tout comme l’éclairage ou
la couleur, le socle est un des
éléments qui participent à la
construction de sens émanant
de l’ensemble d’une expo-
sition. Et à ce titre il concourt
à la compréhension de l’objet
qu’il présente. L’auteur
s’attache à mettre au jour les
types de liens existants entre
le socle et l’objet et analyse
à travers quelques exemples
la façon dont, dans le
contexte de l’exposition,
les messages sont véhiculés
par le socle.
 
* Anne Villard est muséologue
27 rue Bretonneau
37000 Tours
téléphone + 33 2 47 31 90 52 et
+ 33 6 19 55 73 18
annevillard@voila.fr
 
S’interroger sur la nature des liens qui
s’établissent entre le socle et l’objet c’est
parler de la relation qui s’instaure entre
ces deux objets c’est aussi mettre en évi-
dence la ou les fonctions du socle (ou du
support) dans l’exposition de l’objet.
En muséologie, la nature polysémique et
polyfonctionnelle de l’objet est aujour-
d’hui une évidence, et nous ne saurions
ignorer l’importance de son contexte de
présentation (1). L’objet s’insère dans un
discours, il est partie prenante du dis-
cours que constitue l’exposition. La per-
ception de cet objet et sa compréhension
dépendent de la relation qu’il établit
avec les objets environnants, c’est-à-dire
de sa place au sein du parcours de l’ex-
position en tant qu’objet de discours et
de toutes les stratégies mises en œuvre
pour sa présentation dans un discours
d’objet.
 
Le contexte
 
L’objet, en rentrant dans le contexte de
l’exposition, devient partie prenante
d’un discours que l’on porte sur lui et
par lui. Il nous faut donc distinguer
deux types d’objets dans l’exposition : les
objets exposés (préalablement sélection-
nés) et les outils d’expositions qui sont
les moyens mis en œuvre pour donner
du sens aux objets présentés.
Ces outils d’exposition sont autant de
moyens utilisés pour signaler la sépara-
tion entre le contexte d’origine de l’objet
et celui de l’exposition. Mais ils sont
aussi là pour nous indiquer à nous visi-
teurs comment interpréter ce rassem-
blement d’objets. Ces « outils d’exposi-
tion », note Jean Davallon « constituent
un système de réception qui m’aide (moi,
 
en tant que visiteur) à construire ma
visite et à me repérer, qui m’aide aussi à
comprendre, à élaborer des significations
et à m’orienter vers les messages de l’ex-
position lorsque celle-ci développe une
stratégie de communication » (2).
 
L’objet muséographique :
socle ou support
Les définitions du socle sont nom-
breuses qu’elles proviennent d’ouvrages
sur la sculpture ou de dictionnaires
usuels. Notre propos n’est pas d’en dres-
ser la liste. On peut néanmoins utile-
ment se référer au Petit glossaire de l’ex-
position d’André Desvallées (3).
Notons, que le socle induit la verticalité
car il constitue le lien entre l’objet et le
sol, et par la même, vient en écho à la
position des visiteurs. Le terme de sup-
port d’objets recouvre une réalité beau-
coup plus vaste : des objets tenus par
des griffes, des dispositifs venant de tous
les côtés, des objets suspendus… Ces
systèmes permettent une plus grande
souplesse dans la présentation des
objets.
 
L’objet muséographique
dans un contexte muséologique
Le socle n’a pas pour seule fonction la
présentation, il est aussi un élément qui
doit assurer la conservation, la pro-
tection et la sécurité de l’objet et du vi-
siteur. En effet, quel que soit le moyen
utilisé pour présenter l’objet, il ne sera,
bien évidemment, pas choisi de maté-
riaux de nature à l’altérer, que se soit
par réaction chimique entre deux maté-
riaux (comme une colle et un minéral),
par frottement, par percement… Il faut
aussi veiller à sa protection contre
 
la Lettre de l’OCIM, n°87, 2003
 
3
 
d’éventuels vols et dégradations chi-
miques (pluie) et physiques (chocs acci-
dentels ou volontaires).
Le socle permet d’isoler l’objet, de le
mettre à distance du public et des autres
objets exposés. De la même façon, l’em-
ploi de vitrines joue sur la perception de
l’objet, elle signifie une mise à distance
physique et psychologique de l’objet
pour le visiteur. Si elle est d’abord com-
prise comme une protection, elle peut
aussi accentuer la sacralisation de l’ob-
jet de musée.
Enfin, le fait de vouloir rendre accessible
à tous les lieux d’expositions (par
exemple pour les personnes à mobilité
réduite utilisant des fauteuils) condi-
tionne certains aménagements comme
la hauteur des socles, des vitrines…
pour la présentation des objets, mais
aussi des espaces de circulation (4).
 
Émergence d’une nouvelle profession
Depuis 20 à 30 ans, avec le développe-
ment croissant des musées et de leur
réaménagement, nous assistons à l’émer-
gence d’une nouvelle profession destinée
à répondre aux besoins spécifiques et de
plus en plus complexes posés par les sup-
ports de présentation des objets.
 
Certains se définissent comme socleurs
(la Maison André…), Marc Jeanclos, lui,
préfère utiliser le terme de supporteur
plus en accord avec sa pratique.
Tous, qu’ils soient architectes, restaura-
teurs ou socleurs, se définissent avant
tout comme des partenaires d’exposition
et conçoivent leur intervention comme
un travail en étroite collaboration avec
les scientifiques et les scénographes
muséographes.
Des entretiens menés avec certains
d’entre eux en 1998 est ressorti le fait
qu’ils regrettaient d’intervenir presque
toujours au dernier moment sur les
expositions. Ils insistaient aussi sur
l’idée qu’un support doit se faire oublier,
et interfèrer le moins possible visuelle-
ment avec l’objet (5).
 
Le socle, une fonction
 
Le socle se comprend comme une réponse
donnée à des contraintes particulières
(de conservation, budgétaire, de lieu…)
dans un contexte particulier (celui de
l’exposition). Il est au service d’un dis-
cours, celui qui est tenu et développé au
sein de l’exposition. Il n’y a donc pas de
vérité, pas de recette en la matière.
 
Exemple d’utilisation
des socles au muséum
d’Histoire naturelle de Rouen
 
Pour analyser la fonction du support
dans l’exposition de l’objet en espace
muséal, il nous faut d’abord prendre en
compte la relation qui s’établit entre le
support et l’objet, puis analyser le rap-
port de cette entité support + objet à son
contexte de présentation c’est-à-dire à
l’espace architectural environnant. Et
enfin, comprendre la relation que ce dis-
positif entretient avec et dans le dis-
cours de l’exposition. Le choix du sup-
port résulte avant tout de la conjonction
de ces trois analyses et de leur interdé-
pendance.
 
La relation entre le socle et l’objet
 
Il importe en premier lieu de différen-
cier le socle inhérent à l’objet et le dispo-
sitif de présentation de l’objet dans le
contexte de l’exposition, car ils inter-
fèrent tous les deux, à des niveaux diffé-
rents, sur la perception et la compréhen-
sion de l’objet.
 
L’objet et son socle :
marqueurs de l’époque qui les crée
Il peut s’agir d’un socle conçu avec l’ob-
jet (par exemple celui d’une statue en
marbre, d’un oiseau naturalisé…) ou
bien d’un socle rajouté à l’époque de
sa réalisation ou de sa présentation,
ou bien postérieurement. Les maté-
riaux, eux, pourront varier suivant les
époques.
Quel que soit le moment de sa réalisa-
tion, le socle témoigne des valeurs qui
étaient attribuées à l’objet et du goût
d’une époque (6). Nous pouvons donc dire
que le socle est chargé d’une valeur his-
torique, présente ou potentielle.
Dans certain cas, le socle peut permettre
d’identifier la provenance d’objets mis
sur le marché de l’art et de les dater. Des
objets d’Art africain du collectionneur
suisse Barbier-Müller ont ainsi été
authentifiés lors d’une vente grâce à
leur socle. Ils avaient, en effet, tous été
soclés dans les années 1930 par Inagaki.
 
Le socle et l’objet :
témoins des tendances du temps
Le choix du type de support est aussi
très largement influencé par les modes
muséographiques. La tendance actuelle
est de faire venir un support par l’ar-
rière de l’objet, pour le faire flotter dans
l’espace, dans l’idée d’interférer visuelle-
ment le moins possible avec l’objet.
Rappelons toutefois qu’aucun dispositif
n’est neutre, même s’il tend à s’effacer.
On peut aussi utiliser le procédé muséo-
graphique qui consiste à n’éclairer que
l’objet et à dissimuler le socle. Le socle,
 
Photo : © M. Viard/OCIM
 
4
 
la Lettre de l’OCIM, n°87, 2003
 
dans ce cas-là, devient un signe vide et
n’assure qu’une fonction purement
muséographique. Par ailleurs, l’absence
de socle doit aussi être comprise comme
une présentation, une stratégie au servi-
ce d’un discours.
 
Il est vrai que le choix du système de
présentation influe sur les potentialités
de l’accrochage. Si l’objet est simplement
posé ou fixé sur un socle, sa mobilité
n’est pas compromise. Il peut donc chan-
ger de place dans la même vitrine ou
« voyager » dans une autre. En revanche,
si le support se fixe derrière l’objet, il
n’est pas évident que l’accrochage pré-
sente les mêmes souplesses. Il va de soi
que les contraintes sont de natures dif-
férentes pour une exposition temporaire
ou permanente.
 
Le socle implique la création d’un lieu,
d’un espace propre à l’objet
Le socle a comme fonction principale la
mise en exergue de l’objet qu’il présente.
Il travaille à définir une limite, une fron-
tière entre un dedans et un dehors. Le
socle délimite un volume virtuel autour
de l’objet (parfois avec une vitrine) en
l’isolant de l’espace environnant. Un
espace personnel et sacralisé lui est
ainsi conféré.
Sur le socle veut dire la distinction, l’im-
portance. Le socle désigne l’objet pour le
donner à voir, à comprendre. Si le socle
est très ouvragé et réalisé avec des
matériaux précieux, cela donne des indi-
cations sur la valeur que l’on accorde à
l’objet qu’il supporte. Le socle en magni-
fiant l’objet montre sa rareté ou sa
valeur et reflète aussi le pouvoir du com-
manditaire. Le socle peut donc avoir de
nombreuses connotations : symbolique,
de pouvoir…
Il existe, par ailleurs, une différence de
nature entre la morphologie du socle (sa
texture et sa couleur) et sa fonction. Si
sa morphologie peut varier dans le
temps, sa fonction elle, ne varie pas.
 
Autres fonctions du socle
Le socle peut assurer une fonction méca-
nique, en absorbant le poids de l’objet
qu’il supporte.
Il peut aussi être un lieu de stockage, de
réserve pour la collection. C’est le cas
des socles de la Galerie de Paléontologie
du Muséum national d’Histoire natu-
relle à Paris, accessibles uniquement
aux chercheurs.
Le socle peut aussi servir de local tech-
nique, pour le stockage du gel de silice,
par exemple, et assurer ainsi une humi-
dité relative constante et donc une
 
Un nouveau type de support
pour les spécimens de Paléontologie
 
Photo : © Michel Lamoureux
 
Support du Thalassocnus, galerie de Paléontologie,
Muséum national d’Histoire naturelle, Paris
 
À la demande de Christian de Muizon, scientifique CNRS de la Galerie de
Paléontologie du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, Marc
Jeanclos et son assistant Erwan Boulloud ont conçu et réalisé un support
pour la présentation du Thalassocnus ou Paresseux aquatique.
Ce spécimen, trouvé au Pérou en 1976, est un fossile de 6 millions d’an-
nées, incomplet notamment au niveau du bassin. Un travail sur les lacunes
a été effectué par le restaurateur Rodolfo Salas Gismondi, de Lima au
Pérou, ce qui a permis la reconstitution en résine des os manquants et la
réalisation d’un croquis détaillé de la position des 210 os (originaux et
reconstitués) pour diriger le travail d’élaboration du support. Support qui
devait permettre de reconstituer en 3D le mammifère nageant.
Marc Jeanclos et son assistant ont mis au point un support pour mainte-
nir les côtes et les vertèbres sans altérer les os (ni collage, ni perçage). Il
s’agit d’un système proche de la bijouterie et de la joaillerie qui consiste
à clipser chaque os et à le mettre dans la bonne position. Les liaisons
entre les différents éléments doivent être précises et justes. Les clips
rejoignent une structure en acier inoxydable et en laiton qui soutient les
différentes parties. Cette structure peu visible s’intègre graphiquement à
la forme du spécimen. Tout est entièrement démontable, c’est pourquoi
il est important de garder la mémoire des positionnements de chaque
phalange et des côtes, pour pouvoir reconstituer le spécimen. Le support
à part permet toutefois de comprendre la volumétrie du mammifère. Cette
structure est destinée à être suspendue par deux points pour indiquer
que le spécimen nage.
Par la souplesse de son utilisation ce nouveau système devrait révolu-
tionner la recherche scientifique en Paléontologie et peut-être générer
une autre façon de présenter au public ces spécimens.
 
bonne conservation de l’objet. Il peut
dans certains cas dissimuler des élé-
ments techniques qui assurent le fonc-
tionnement d’une machine ; c’était le cas
dans l’exposition L’art trompeur, de la
lanterne magique au cinématographe,
trois siècles de cinéma, présentée en
1995-1996 à l’Espace Électra-Fondation
 
Électricité de France, où les mécanismes
animant les praxinoscopes étaient ca-
chés dans les socles de présentation des
objets.
Il est aussi couramment, utilisé comme
support pour les cartels, les consignes, et
les différents textes de l’exposition.
 
la Lettre de l’OCIM, n°87, 2003
 
5
 
nant aux visiteurs des repères spatiaux,
leur permettant, notamment, de diffé-
rencier les départements d’un même
musée.
 
Dans la pratique, les concepteurs d’ex-
position négligent trop souvent le soin
qu’il faut apporter à la recherche de
solutions en matière de socles et de sup-
ports. Certes, cela n’apparaît pas comme
une priorité au regard de l’importance
du choix des objets, de la scénographie
de l’ensemble de l’exposition, mais il ne
faut pas perdre de vue que la réussite de
l’organisation du contenu de l’exposition
dépend pour beaucoup de la façon dont
l’objet va être donné à voir au visiteur et
du choix du dispositif de présentation.
Le socle est certes le dernier maillon de
la chaîne, mais il ne faut pas pour
autant sous-estimer son importance et
impliquer très en amont les socleurs et
muséographes dans les réflexions
menées sur la présentation des objets
dans l’exposition.
Par ailleurs, la conception et l’élabora-
tion de ces dispositifs peuvent, dans cer-
tains cas, demander beaucoup de temps
et d’argent, et il est donc nécessaire de
prendre en compte cet aspect dans l’or-
ganisation du travail et dans le budget
de l’exposition.
 
Photo : © Atelier de l’île/Ouïdire, département des Antiquités Égyptiennes, musée du Louvre, Paris
 
Réaménagement du
département des Antiquités
égyptiennes, musée
du Louvre, Paris
 
Prise en compte du public
La présentation d’un objet implique
nécessairement un regard, celui du spec-
tateur. La fonction du support sera donc
de donner à un objet sa position optimale
par rapport au regard du spectateur, en
respectant les spécificités de l’objet et le
propos tenu dans l’exposition.
 
La relation entre le socle
et l’architecture
 
Le socle est l’intermédiaire entre l’objet
(qu’il présente) et l’espace architectural
environnant.
 
Idéalement, il faudrait partir de l’objet,
définir le support qui lui convient le
mieux puis aménager l’espace en fonc-
tion de ces différents modules (objet +
support). Mais, c’est rarement possible
dans le cadre d’un réaménagement de
musée (7).
Toutefois, quand le scénario est bien
abouti, les architectes muséographes
connaissent avec précision la répartition
des objets, leurs regroupements par
salles, par modules d’exposition, par
vitrines… et travaillent, à partir de ces
indications, à la conception et à la fabri-
cation des outils d’exposition. Ils définis-
sent le plus souvent un principe général,
qui sera ensuite décliné et adapté à la
présentation des différents objets.
 
Ce principe permet d’assurer une cohé-
sion à l’ensemble des dispositifs de l’ex-
position et au(x) public(s) de se repérer
dans l’espace. Un ensemble de règles, de
critères de présentation des objets sont
définis, comme la hauteur des vitrines et
des socles (hauteur qui implicitement
détermine le public auquel on s’adresse),
la ligne graphique (influencée par la
mode), le positionnement des cartels…
Les dessins des principes choisis pour
les socles, les vitrines et la réutilisation
des vitrines Charles X pour le réamé-
nagement du département des Anti-
quités égyptiennes du musée du Louvre,
par les architectes muséographes de
l’Atelier de l’île et les designers de
Ouïdire, en sont un bon exemple.
La ligne graphique doit être homogène
sur l’ensemble de la muséographie, pour
que les différents objets se fondent dans
un même système. La mise en place de
ce système permet d’assurer une cohé-
sion à l’ensemble de la présentation tout
en laissant à chaque objet son autono-
mie. Il ne s’agit pas pour autant de chan-
ger systématiquement l’ensemble des
soclages – certains ayant une valeur his-
torique – mais d’unifier autant que pos-
sible la présentation.
 
La muséographie fonctionne donc
comme une signalétique visuelle assu-
rant une continuité esthétique et don-
 
La présentation de l’objet ne s’arrête,
bien évidemment, pas au socle ou au
contexte architectural immédiat et à la
position de l’objet dans cette architecture,
mais elle s’étend au bâtiment entier qui
abrite l’objet et se prolonge jusque dans
les abords de l’environnement du lieu,
dans la communication faite sur l’exposi-
tion (affiches, articles de presse, inter-
views des commissaires…). Il faudrait
donc étendre cette analyse à l’environne-
ment social et culturel dans lequel l’objet
est présenté, cet environnement condi-
tionnant la façon dont les objets sont per-
çus par le visiteur.
 
La relation
au discours scientifique
 
L’objet est par nature polysémique et
polyfonctionnel, et ne prend de sens que
dans un contexte particulier. L’objet
change donc de statut selon son contexte
de présentation – en fonction du lieu,
des époques et des discours tenus.
 
Prenons l’exemple de l’exposition de
masques africains. Les présenter au
regard de certaines peintures de Picasso,
c’est vouloir montrer les influences for-
melles de ces masques sur son oeuvre,
 
6
 
la Lettre de l’OCIM, n°87, 2003
 
Exposition La parole du fleuve,
Harpes d’Afrique centrale, Cité
de la Musique, Paris, 1999
 
dans le contexte particulier de la décou-
verte des « arts primitifs » par les artistes
de cette époque.
Le musée Dapper, lors des expositions
d’art africain qu’il organise, présente les
masques et des bijoux comme des œu-
vres d’art, en privilégiant une muséo-
graphie axée sur la valeur esthétique de
l’objet. Seul l’objet est éclairé. Il est pré-
senté sur son socle, lui-même posé dans
une vitrine socle. Les objets, dans ce
contexte, sont présentés pour eux-
mêmes. Les cartels très succincts n’of-
frent qu’une description sommaire de
l’objet.
L’exposition de ces objets par des ethno-
logues est très différente. Les masques
sont suspendus à hauteur de visage, ou
posés sur un mannequin dans une vitri-
ne qui présente les autres éléments de la
parure. Le rite est expliqué et une pho-
tographie ou un film montre son utilisa-
tion dans la société dont il est issu. C’est
le type de présentation que l’on pouvait
voir au musée de l’Homme de Paris.
Malgré le schématisme de nos propos,
cet exemple montre bien les différences
entre les discours scientifiques et les
muséographies qui en découlent. Ce
sont autant de points de vue, de partis
pris, qui peuvent cohabiter. Il ne nous
appartient pas de hiérarchiser ces
approches, mais de prendre acte de cette
diversité.
 
Comment montrer la quantité, le nom-
bre avec un socle ? Le département des
Antiquités égyptiennes du musée du
 
Louvre possède une multitude de
chaouabtis (serviteurs funéraires) dans
ses réserves. Ces statuettes étaient
déposées en très grand nombre dans les
tombes des pharaons pour montrer leur
puissance. Mettre sur le même socle de
nombreuses statuettes, c’est établir une
relation entre ces objets, c’est dire qu’ils
proviennent du même contexte. Compte
tenu du nombre d’objets qui sont en col-
lection, il est impossible de tous les
exposer. Pour dire la quantité, la profu-
sion, des statuettes ont été accumulées
jusqu’à la saturation du socle. On
indique ainsi aux visiteurs qu’ils sont en
présence d’un fragment d’un ensemble
plus vaste. Si chaque statuette était pré-
sentée isolée sur un socle, le discours
serait tout autre.
 
La présentation des spécimens de la
Caravane des animaux de la Grande
Galerie de l’Évolution du Muséum
national d’Histoire naturelle de Paris
montre aussi l’influence de l’évolution
des discours scientifiques sur la concep-
tion et le choix des outils d’expositions.
Le changement de discours est mani-
feste entre l’ancienne galerie de Zoologie
et la Grande Galerie. Les animaux sont
aujourd’hui présentés au même niveau
que les visiteurs, les socles des spéci-
mens naturalisés étant cachés dans le
plancher. Les hommes et les animaux
marchent donc au même niveau, ils sont
en situation de proximité. Cela induit
que l’homme appartient au règne ani-
mal, qu’il est lui aussi membre des
 
mammifères. Cette présentation est loin
de l’accumulation pyramidale de spéci-
mens qui prévalait auparavant dans la
galerie de Zoologie. La muséographie
rend compte ici de l’évolution du dis-
cours scientifique et surtout de sa
médiatisation auprès du public.
 
Terminons par l’exposition La parole du
fleuve, Harpes d’Afrique centrale, qui
s’est tenue à la Cité de la Musique à
Paris en 1999. La muséographie est de
Roberto Ostinelli et les supports de
Marc Jeanclos. On ne peut qu’admirer la
légèreté des supports qui ont été créés
pour les harpes. Ils s’adaptaient parfai-
tement à chaque forme de harpe, et sur-
tout ils pouvaient pivoter sur leur axe ce
qui permettait de donner au visiteur
l’impression qu’elles flottaient dans l’es-
pace (le fil conducteur n’est-il pas le
fleuve ?). Notons, aussi, l’attention
apportée à la couleur des supports. Les
supports des objets avaient la même
couleur que le sol de la vitrine dans
laquelle ils se trouvaient alors que les
supports des cartels étaient noirs, pour
différencier les deux types de discours
qui cohabitaient.
 
Nous pourrions donner encore de très
nombreux exemples, tous montreraient
les relations étroites qui s’établissent
entre le discours scientifique et la
muséographie, d’où la nécessité d’en-
gager rapidement le dialogue entre les
différents partenaires d’exposition,
qu’ils soient scientifiques, architectes
 
la Lettre de l’OCIM, n°87, 2003
 
7
 
Photo : © DR
 
La voiture est présentée sur un socle, tournant sur lui-même pour permettre
aux nombreux visiteurs de voir le véhicule de tous les côtés. Il s’agit ici de magnifier
la voiture, de l’élever au rang d’objet précieux afin de montrer son unicité,
son caractère exceptionnel et d’inviter ainsi les visiteurs du Mondial de l’automobile
(Paris, septembre-octobre 2002) à l’acquérir.
 
muséographes ou socleurs, mais aussi
médiateurs scientifiques ou culturels
car ce sont eux qui font vivre ces lieux,
et leur connaissance des publics est pré-
cieuse pour l’aménagement des espaces
muséographiques.
 
Les stratégies de communication et les
moyens mis en œuvre peuvent être les
mêmes dans un salon, une vitrine de
magasin ou un musée ; seuls l’intention
(séduire pour vendre dans un cas, pro-
voquer des questionnements dans
l’autre) et le propos changent. C’est le
contexte de présentation de l’objet qui
indique au public comment interpréter
cette mise en scène, comment décrypter
les messages véhiculés par cette pré-
sentation. Les artistes contemporains
ne s’y sont pas trompés et ils sont nom-
breux à questionner les stratégies d’ex-
position des objets, dans les musées
notamment. Ainsi, il y a quelques
années, dans l’exposition Les cinq conti-
nents proposée par le musée des Arts
africains et océaniens, Bernard Lavier
avait choisi de présenter une Ferrari
rouge sur un socle pour définir et carac-
tériser le continent européen.
 
Notes
 
(1) « ...Comprendre en rappelant combien l’ob-
jet n’est la vérité de rien du tout.
Polyfonctionnel d’abord, polysémique ensuite,
il ne prend de sens que mis dans un con-
texte… » Hainard, J. La revanche du conser-
vateur, in Hainard, J. et Kaehr, R. Objets pré-
textes, objets manipulés. Neuchâtel : musée
d’Ethnographie, 1984, p. 189.
(2) Davallon, J. Gestes de la mise en exposi-
tion, in Davallon, J. Claquemurer, pour ainsi
dire, tout l’univers. La mise en exposition.
Paris : Centre Georges Pompidou, Centre de
Création Industrielle, 1986, p. 244.
(3) Desvallées, A. Cent quarante termes
muséologiques ou petit glossaire de l’exposi-
tion, in De Bary, M.-O. et Tobelem, J.-M.
Manuel de muséographie : petit guide à l’usa-
ge des responsables de musée. Biarritz :
Séguier, Option Culture, 1998, pp. 205-251.
(4) Se référer, par exemple, aux préconisa-
tions de la Direction des Musées de France
dans Des musées pour tous. Manuel d’accessi-
bilité physique et sensorielle des musées,
Paris : ministère de la Culture, Direction des
Musées de France, 1992, 80 p.
(5) Villard, A. Fonction sémantique et sémio-
tique du socle : exposition d’objets en espace
public. Mémoire pour l’obtention d’un D.E.A.
de Muséologie des Sciences naturelles et
humaines, Grande Galerie de l’Évolution,
Muséum national d’Histoire naturelle, Paris,
1998, 185 p.
 
(6) Pour plus d’informations, voir les articles
d’Henri Bresler et de Catherine Chevillot.
(7) Nous parlons ici d’aménagement de
musée. Il va de soi que chaque support ou
soclage est conçu et adapté à l’objet qu’il
doit présenter (proportions, matériaux,
couleur…), même s’il doit s’intégrer à la
muséographie.
 
Bibliographie
 
Brawne, M. The museum interior. Temporary
+ permanent display techniques. Thames and
Hudson, 1982.
 
Bresler, H. Supports et cadres, Archi Crée,
n°246, 1992, pp. 156-157.
 
Chevillot, C. Le socle, in La sculpture françai-
se au XIXe siècle, catalogue d’exposition,
Paris : RMN, 1986, pp. 241-251.
 
Davallon, J. Claquemurer, pour ainsi dire,
tout l’univers. La mise en exposition. Paris :
Centre Georges Pompidou, Centre de
Création Industrielle, 1986, 304 p.
 
De Bary, M.-O. et Tobelem, J.-M. Manuel de
muséographie : petit guide à l’usage des res-
ponsables de musée. Biarritz : Séguier, Option
Culture, 1998, pp. 205-251.
 
Des musées pour tous. Manuel d’accessibilité
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8
 
la Lettre de l’OCIM, n°87, 2003


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